Questions sur la prise de Concarneau

     Les sanglants affrontements qui se déroulent à Concarneau en janvier 1577 doivent être replacés dans le contexte historique de l’époque, c’est-à-dire les déchirements politiques qui suivent la Saint-Barthélemy. Avec plus d’une centaine de morts, c’est incontestablement les plus plus graves troubles à prétexte religieux dans la Bretagne d’avant les guerres de la Ligue. Circonstance inexcusable, l’initiative des combats vient du côté des protestants, et ce sont eux qui en subissent les plus graves conséquences. Tout pose question dans cette tragique aventure. Nous allons donc nous interroger ici sur cette équipée, plutôt que de nous étendre en détail sur les faits, qui sont relativement bien documentés pour l’époque. Nous disposons aujourd’hui en effet d’une relation imprimée des combats complétée par les réflexions de contemporains1.

     Basiquement, la prise momentanée de Concarneau, cité maritime fortifiée de moyenne importance, s’inscrit parmi les coups de mains caractéristiques de l’époque. Elle est le fait d’une petite troupe de quelques dizaines de gentilshommes, a priori des Réformés de la région, accompagnés d’une petite centaine de fantassins stipendiés, sans doute des reîtres démobilisés de l’armée de Condé.

     La surprise initiale est d’autant plus aisée que la place n’est pratiquement pas gardée, que le pays est en paix, et que l’on attend pas de soldats huguenots dans cette région de basse Bretagne.

    Une prise facile donc, mais de quel intérêt ?

     La référence stratégique de l’époque est incontestablement l’exemple de La Rochelle, devenue une véritable cité-état qui défie alors victorieusement les troupes royales. Pouvait-on envisager de faire de Concarneau un de ses avant-ports à la pointe de Bretagne ? La suite des événements à montré que non : la réputation de la place, datant du Moyen Age, était largement surfaite en ce milieu du XVIe siècle. Concarneau était à la merci de quelques canons bien placés. Le problème n’était pas de prendre la forteresse, mais de la garder. De plus, quel intérêt de disposer d’un port très resserré, menacé de tous les côtés, y compris en direction de la haute mer si l’on n’occupait pas l’archipel des Glénans ? Quelques années plus tôt, la forte expédition maritime de Montgomery n’avait d’ailleurs pas réussi à se maintenir à Belle-Île. Il fallait pour cela les moyens navals de l’Angleterre. Or, elle n’apparaît pas dans cette affaire.

Concarneau

L’entrée de la ville close de Concarneau (photo Wikipedia commons)

     La réflexion des quelques aventuriers qui se lancèrent dans l’aventure était singulièrement courte. La petite troupe n’était pas assez nombreuse ni organisée pour assurer une veille permanente, et c’est ce qui la perdra. La ville est immédiatement assiégée par une troupe nombreuse qui se lève spontanément dans les paroisses environnantes mais mène des assauts infructueux. Un des otages en profite pour subtiliser les clés de la cité et leur ouvre les portes. Le massacre commence. C’en est fini du rêve de quelques gentilshommes réformés, comme Jean de Baud ou du sieur de Kermassonet…

     Le nombre de leurs erreurs accumulées dépasse de loin ce que l’on peut imputer à la malchance ou à ce que l’on appelle aujourd’hui le « brouillard de guerre ». De façon caractéristique, aucun stratège militaire du parti protestant ne semble s’être impliqué dans l’affaire. Il y en avait pourtant de fort connus chez les Bretons, comme la Noue, Du Matz ou Du Brossay. L’armée du prince de Condé ne semble avoir été prévenue qu’après coup et se garda d’intervenir autrement que de façon symbolique.

     Le manque de réflexion de la petite troupe se remarque à tous les niveaux : pas de prise en compte de l’énorme déséquilibre des forces, mépris total de toute réaction populaire catholique, et pourtant ce paramètre était déjà apparu très important à Vitré en 1575, dimension maritime singulièrement absente alors même que l’on entendait s’emparer d’une base navale… Même l’aspect religieux était plus que discutable. Que l’opération ait été réussie ou non, elle condamnait irrémédiablement les quelques communautés protestantes isolées des évêchés de Quimper et même de celui de Vannes…

     L’analyse de cette aventure nous apporte quelques informations sur l’univers mental d’un petit groupe de hobereaux protestants de l’ouest, complètement coupés des campagnes environnantes sur les plans religieux et culturel. Leur cécité avait été telle que ces seigneurs locaux n’avaient pas envisagé ni imaginé la réaction brutale des paysans. C’était pourtant là un élément décisif qu’il leur faudra prendre de plus en plus en compte au cours des années suivantes : la radicalisation du conflit religieux entraînait désormais l’intervention de masses rurales dressées contre les huguenots par les prêtres des campagnes et les moines itinérants. Sans doute aussi, faute d’extension du protestantisme à l’ensemble des classes de la société, la nouveauté religieuse était-elle assimilée par les paysans à une nouvelle forme d’exaction seigneuriale. Le contexte politico-religieux des guerres de la Ligue était déjà en place, là aussi, dès 1577.

Jean-Yves Carluer

1 G. de La Vigne, Ample discours de la surprise de la ville et forteresse de Concq près de Vannes, pays de Bretagne par cause de la religion…, à Paris, pour Pierre Laurent libraire, MDLXXVII, 29 pages. Voir aussi Henri Waquet, Mémoires du chanoine Jean Moreau sur les guerres de la ligue en Bretagne, Archives historiques de Bretagne, Quimper, 1960.