Le château du Val d’Arguénon : un joyau huguenot sur la Côte d’Émeraude

Bienvenue chez Claude du Chastel !

     Le cadre est exceptionnel, entre terre et mer. Les 15 hectares du parc dominent les plages de la baie de l’Arguénon, face à l’isthme de Saint-Jacut. Le château, en forme de L, est composé de deux logis : le plus ancien, le plus sobre, date du XVIe siècle. Il a abrité les amours d’un des couples les plus touchants et les plus vertueux de leur temps, ceux de Claude du Chastel et Charles Gouyon de La Moussaye. L’autre bâtiment a remplacé au XVIIIe siècle une aile brûlée par les Anglais lors du débarquement de Saint-Cast (1758).

Le château du Val d'Arguenon, vu du parc. A gauche, l'aile XVIe siècle, avec le temple-chapelle. A droite l'aile reconstruite au XVIIIe siècle.

Le château du Val d’Arguenon, vu du parc. A gauche, l’aile XVIe siècle, avec le temple-chapelle. A droite l’aile reconstruite au XVIIIe siècle.

     Le Val d’Arguénon s’appelait autrefois Val-du-Guido et n’a porté son nom actuel que depuis le XIXe siècle, sans doute pour le différencier de la place forte du Guildo, en Créhen, de l’autre côté de l’embouchure du fleuve côtier.

 Une demeure de plaisance

      La seigneurie du Val-du-Guildo, alors dans la paroisse de Saint-Potan, était une des terres possédée par la famille Gouyon de la Moussaye lors de la Renaissance. Amaury 1er, le père de Charles Gouyon, entreprit alors de reconstruire un château plus ancien dont nous ne savons rien, mais qui était sans doute de taille modeste, en logis plus confortable, adapté à un homme devenu impotent. Ce bâtiment a été achevé en 1582 par sa belle-fille, la très huguenote Claude du Chastel. Elle y a vécu une grande partie de sa vie de femme, et y a mis au monde plusieurs de ses enfants. Elle y a fait célébrer les prêches, et y a accueilli les plus grands seigneurs protestants. Ses descendants, fidèles à la foi calvinistes, y ont fait chanter les Psaumes jusqu’à la Révocation, pendant un siècle encore.

     C’est dire si le Val d’Arguénon est imprégné de mémoire huguenote. La chapelle, si elle a bien été édifiée par Claude du Chastel en 1582, serait même le seul temple (privé) protestant bâti par des Réformés et conservé en Bretagne.

 Une oasis de paix, face à la mer

Le château du Val d'Arguenon. Vue de l'aile du XVIe siècle, coté ouest.

Le château du Val d’Arguenon. Vue de l’aile du XVIe siècle, coté ouest.

      Si le jeune couple de Charles et Claude, pourtant très riche, a volontiers séjourné dans ce logis modeste pour leur rang, c’est qu’il offrait de multiples avantages au temps des guerres de religion. Certes, il était neuf et agréable, mais son site était surtout rassurant. C’est ce qu’attestent les Mémoires de Charles Gouyon. Les jeunes mariés trouvent refuge après la Saint-Barthélemy au « Val du Guido, maison située sur le bord de la mer, de facile garde, éloignée des grans chemins […] Et y fusmes par la grâce de Dieu en repos pendant ces temps calamiteux et plein d’effroy et de meurtres et massacres[1]« . Ils y restent de longs mois, « pendant quel temps, je ne bougeay d’avec ma chère femme à la maison […] Ma chère femme […] n’estoit cependant oiseuse à la maison et n’y perdoit temps, car elle amassait de l’argent, faisoit des ouvrages, faisoit provision de meubles et autres choses requises pour tenir bonne et grande maison   […]  Et n’avions lors maison que celle-la[2]« . Ce n’est qu’un an plus tard, quand Claude du Chastel entra en possession de son énorme héritage[3], que le couple déménagea au château de La Garaye, près de Dinan. Désormais Charles Gouyon et sa femme multiplient les constructions pendant les périodes de paix : « rédifier à Tonquédec et à La Garaye, bastir le chasteau de La Moussaye et au Val[4]« , ce qui confirme que le logis n’y était pas encore achevé. On retrouve encore Claude du Chastel au Val en 1576, où elle soigne son beau-père, Amaury de la Moussaye, atteint de goutte et grabataire. En 1582, écrit encore Charles Gouyon, « Nous passasmes l’esté à la Garaye et l’automne au Val, où mon père fit parachever son bastiment du Val[5]« . Après le décès d’Amaury Ier, Charles Gouyon et Claude du Chastel retournent au Val « jusque au mois de may 1583« . Quelques mois plus tard quand la guerre civile reprend dans le Royaume à la suite de la formation de la Ligue, « on nous conseilla de nous retirer au Val », écrit Charles Gouyon, « tant pour la commodité de la mer que pour estre aisé à deffendre. […] Pendant tous ces troubles, nous ne bougeasmes de nostre ditte maison du Val, où ma très aimée femme prenoit un singulier plaisir à recevoir ceux qui avoient besoin de son aide, ne leur espargnant rien de son bien et de ses moyens[6]« .

     C’est ainsi qu’en octobre 1585, le chef du parti protestant, le prince de Condé et sa suite, mis en fuite après la déroute d’Angers, trouvèrent refuge au château avant leur embarquement clandestin pour Jersey. Claude du Chastel « les faict conduire au pavillon qui est au bout de la gallerie qui a sa montée particulière, où elle les alla recevoir par ladite gallerie[7]« . C’est enfin au château du Val que s’éteignit Claude du Chastel, le 15 juin 1587, très probablement de fièvre puerpérale, après avoir donné le jour à son douzième ou treizième enfant. Elle avait 34 ans.

L'embouchure de l'Arguenon et le port du Guildo. A un quart de lieue du château, c'est là que le prince de Condé s'embarqua pour Jersey en 1585. Tout au fond, les plages de la presqu'île de Saint-Jacut

L’embouchure de l’Arguenon et le port du Guildo à marée basse. A un quart de lieue du château, c’est là que le prince de Condé s’embarqua pour Jersey en 1585. Tout au fond, les plages de la presqu’île de Saint-Jacut.

     Le château du Val d’Arguénon est un exemple atypique d’une demeure de plaisance qui se révéla, quoique dépourvue de remparts, un excellent site de refuge offrant une possibilité de fuite vers les Îles anglo-normandes.

     Le château ne se visite pas, mais les propriétaires, M. et Mme de La Blanchardière, très sensibles au passé huguenot de leur demeure, y proposent des chambres d’hôtes. Certaines sont situées dans l’aile du XVIe siècle, comme la « chambre de Diane », la chambre « Alcôve » et la chambre « Voûte ». Une occasion d’y succéder pour un soir à Claude du Chastel, à moins que ce ne soit aux pasteurs Mahot et Pallory ou au duc de la Trémoille[8]

[1] Mémoires de Charles Gouyon, baron de La Moussaye, publiées d’après le manuscrit original par G. Vallée et P. Parfouru, Paris, 1901, pp. 121-122. Consultable sur le site de la Bibliothèque nationale : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5550317w

[2] Idem, p. 122.

[3] Les baronnies du Juch, de Marcé (en Marcey), la vicomté de Pommerit, les seigneuries de La Garaye (en Taden), de Lesnen (en Saint-Tual), du Mûr et de Gueriven (en Saint-Évarzec), de Kervern (en Plonéis, d’après l’érudit P. Parfouru). Peu de temps après, Claude acquit la vicomté de Tonquédec en retrait lignagier.

[4] Mémoires..., p. 129.

[5] Idem, p. 131.

[6] Ibidem, p. 139.

[7] Ibidem, p. 141.

[8] Pour tous renseignements pratiques, se reporter au site internet du domaine : http://www.chateauduval.com/

Deuxième partie

Un domaine protestant au XVIIe siècle

Le domaine cher à Claude du Chastel est resté pendant plus de cent ans entre les mains de ses descendants calvinistes. Nous n’avons pas, cependant, beaucoup d’informations précises.

     A ma connaissance, le site du Guildo réapparait seulement dans des documents protestants en 1659, lors de l’édition d’un ouvrage de piété réformé. C’est une sorte de recueil de prières et de textes liturgiques rédigés par le pasteur de Plouër, Simon Pallory, sieur de Richelieu. Cet ouvrage posthume avait été recueilli par un ancien de cette paroisse protestante. Il porte un nom inhabituel pour le lecteur d’aujourd’hui : Sainctes paraclèses ou consolations pour fortifier les malades en la foy de J.C., et pour préparer les fidèles au départ de la vie présente à remettre heureusement les âmes entre les mains de Dieu[1]. Ce même ancien anonyme rédigea la longue préface de l’ouvrage. Il cite, comme faisant partie de l’Église de Plouër-sur-Rance, outre Saint-Malo, des annexes à « Cancale, Le Leix, et Le Guildo« .

     Au coeur du Grand Siècle, quand l’ouvrage du pasteur Simon Pallory est édité, il y a donc toujours un noyau de protestants au Guildo, composé probablement de serviteurs ou d’officiers de La Moussaye et de leur famille. Cependant, les prêches sont loin d’y être réguliers, et c’est bien justement pour cela que l’ouvrage avait été rédigé pour des cultes en l’absence du pasteur. Simon Pallory est mort en 1631. Il a été remplacé par les pasteurs Rondel puis Fauquembergue.

La chapelle du château du Val d'Arguénon. A l'extrémité de l'aile XVIe siècle, ce modeste édifice aurait été remanié au XIXe siècle. D'après la tradition locale, l'escalier correspond à la rampe qu'aurait gravie le prince de Condé.

La chapelle du château du Val d’Arguénon. A l’extrémité de l’aile XVIe siècle, ce modeste édifice aurait été remanié au XIXe siècle. D’après la tradition locale, l’escalier correspond à la rampe qu’aurait gravie le prince de Condé.

   On retrouve le fils de Simon Pallory, prénommé Amaury, dans différents actes de l’époque où il est désigné comme écuyer, c’est-à-dire noble, et « sieur du Val, en Plouër », ce qui signifie qu’il dispose d’une sieurerie (propriété), située non loin du temple réformé de cette cité. L’érudit René Chassin du Guerny, descendant de la famille, écrivait en 1838 qu’Amaury de Pallory, après avoir exercé dans « la ferme des États, impôts et billots à Hennebont […] alla habiter le Val-Guildo, en Saint-Potan ; il dut y mourir vers 1666[2]« .  On sait que le domaine du Val d’Arguenon était situé sur la paroisse de Saint-Potan avant que cette commune ne soit amputée par la création d’une nouvelle à Notre-Dame-du-Guildo en 1856. Si l’information est vérifiée, cela semblerait indiquer qu’Amaury Pallory, très proche de la famille de la Moussaye aurait résidé alors au château ou dans une de ses dépendances, peut-être comme agent du marquis.

     Marguerite Uzille, son épouse, lui survécut longtemps. Comme la plupart des huguenots bretons, elle se résolut à abjurer sous la contrainte à la fin de l’année 1685 à Saint-Malo. Cette conversion n’était que de façade, car 12 ans plus tard, le curé de Plouër-sur-Rance la dénonce comme étant toujours huguenote. Les autorités se déplacent alors dans sa demeure du Val-Abraham ( sans doute la désignation précise de la sieurerie d’Amaury Pallory, en Plouër) pour la forcer à faire acte de catholicité dans ses derniers moments :

     « où estant avons trouvé ladite Uzille au foyer dans une chèse fort incommodée à laquelle ledit sieur curé, parlant, luy ayant fait plusieurs belles et saintes remontrances et enfin demandé si elle ne desiroit pas mourir en la foy de nostre mère la Sainte Église catholique apostolique et romaine et avoir recours au Sainct Sacrement ordonnez et establis en Icelle comme une véritable catholique romaine,

     A dit et répondu qu’elle ne croit point en l’Église catholique apostolique et romaine, ni aux sacrements establis par icelle et vouloir mourir dans la religion prétendue réformée dans laquelle elle est née et élevée, et après plusieurs autres belles et sainctes exhortations luy faites par ledit sieur Roger [le prêtre],

     A dit finallement qu’elle ne croit en aucune façon la réalité du Sainct Sacrement de l’Eucharistie ni en aucuns Sacrements, ni mesme aux intercessions de Marie, ni d’aucuns autres saincts suivant les sentiments de l’Église romaine, fors qu’elle croit au Sainct Sacrement de baptesme et la communion spirituelle suivant l’Église réformée et, si elle a cy-devant fait abjuration de la religion, ce n’a esté que pour obéir aux Edits et déclarations du Roy comme plusieurs autres de sa religion pour éviter aux rigueurs et chastiments dont on les en menaçoit[3]« …

     Marguerite Uzille, veuve Pallory, mourut peu après, à la fin de l’année 1696. Elle n’est pas mentionnée dans les registres catholiques, ce qui semble indiquer un refus définitif des sacrements qui lui étaient imposés. Le château du Val d’Arguénon a été vendu après la Révocation à la comtesse Marie de Lesquen de Villemeust et passa à son neveu avant d’être acquis par Pierre de Chateaubriand, oncle de l’écrivain en 1777.

     Jean-Yves Carluer


[1] M. de Pallory, pasteur de l’Église réformée de Plouër et de Sainct-Malo, en Bretagne, Sainctes paraclèses ou consolations pour fortifier les malades en la foy de J.C., et pour préparer les fidèles au départ de la vie présente à remettre heureusement les âmes entre les mains de Dieu, Nyort, par François Mathé, MDCLIX.

[2] René Chassin du Guerny. Généalogie de la famille Chassin en Bretagne représentée aujourd’hui par les Chassin du Guerny et de Kergommeaux, 1938, p. 212.

[3] Idem, p. 213

Au pied du parc du Val d'Arguenon, les plages...

Au pied du parc du Val d’Arguenon, les plages…

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