Claude du Chastel 3

– 3  … »Une véhémente passion d’esprit »…

Le mariage de Claude du Chastel (suite)

    Une maladie de Charles resserra encore les liens entre les futurs époux : « les lettres (de Claude) eurent plus de vertu que la rhubarbe, l’agaric, séné, et toutes les drogues des Indes, ny tous les livres des Arabes… » Quand il put enfin aller la voir : « elle me veit sy maigre, desnué et décharné que je ressemblois à une vraye anathomie. Cela toutefois ne l’aliéna ny l’esloigna point… Les larmes luy descendoient le long de son visage tant beau et agréable… Elle se lève et adjouste les prières à Dieu mesme pour ma santé, luy rendant grâce de ce qu’il me l’avoit restituée… »

         Les deux jeunes gens semblaient s’acheminer vers une proche union, quand de nouvelles péripéties vinrent contrecarrer leur projet. De ce futur mariage dépendrait le sort de plusieurs des plus belles baronnies de la province, et il n’était pas question de laisser l’amour seul en décider. C’était le rôle du conseil de famille de Claude et un accord était indispensable. Faute d’unanimité, la décision devrait finalement revenir au roi. Or quelques parents du côté du Chastel, fiers Bas-Bretons et supports inconditionnels du catholicisme, n’entendaient pas donner leur accord. Ils restèrent inflexibles au cours de l’année 1569, période de troubles et de guerres.

    Du coup Madame de Montgomery revint également à la charge en faveur de son fils jusqu’au moment où voyant les amoureux embrassés, elle eut le bon goût de dire : « Je n’en doute plus, il n’en faut plus parler« .

    Bientôt la guerre civile reprit, durcissant les positions des camps opposés, avec d’ultimes manoeuvres pour marier Claude aux sieurs du Coëtmeur ou de Rambouillet (âgé de 55 ans !), ce qui amena cette remarque de Charles : « Comme sy l’amour estoit une marchandise qu’on peut vendre, permuter, prendre ou laisser à son plaisir, et non une véhémente passion d’esprit, qui occupe tellement les sens que plusieurs, pour ne s’en pouvoir despouiller, y perdent la vie et quelquefois le jugement et la raison. ». Notre jeune baron, proche parent des Chateaubriand, partageait le même sang qui coulera plus tard dans les veines de François René et ressentait tout aussi violemment les passions.

    Claude du Chastel, alors âgée de 16 ans et demi, et sa grand-mère, Madame de Rieux, accomplirent un voyage mouvementé qui les mena en Trégor et en Léon pour essayer de fléchir la résistance des cousins bas-bretons.

    Charles Gouyon raconte qu’il dut, avec quelques amis et avec la complicité de la grand-mère, enlever sa bien-aimée de la métairie de Coativy Braz où elle était retenue par un cousin, Guillaume du Chastel, seigneur de Kersimon en Plouguin, qui prétendait être son tuteur. Le temps que celui-ci lance la poursuite, les amoureux étaient déjà à l’abri, loin de là, à Châteauneuf…

    Mais, plus que jamais, leur avenir était entre les mains du roi.

Sous les pierreries de la couronne…

Gaillon

Les voutes de la chapelle basse du château de Gaillon. L’essentiel de la partie Renaissance de ce château qui a été un des joyaux de l’architecture française a hélas disparu aujourd’hui.

   D’autant qu’un nouvel obstacle compliquait encore les choses. Claude, en bonne huguenote, ne voulait « espouser point autrement qu’en l’Eglise réformée« . Les Acigné et les La Moussaye étaient d’accord, mais il fallait pour cela attendre que se termine la guerre de religion en cours dans le Poitou et que Charles IX accorde un édit de pacification qui serait favorable à la concorde religieuse.

    De ce côté, alors même que tout semblait enfin s’arranger, tomba la mauvaise nouvelle. Certes, le roi avait accordé à Saint-Germain un édit de tolérance. Mais les termes de celui-ci faisaient défense de mariage protestant aux cousins au tiers-degré, ce qui était le cas pour Claude et Charles. Après une dernière crise, la mort dans l’âme, Claude promit « d’espouser à la messe« , si dans un délai de six mois aucune autre solution n’était trouvée.

    Charles Gouyon plaida avec succès la cause de son mariage devant Charles IX. Mais sur le plan religieux, la pauvre Claude but le calice jusqu’à la lie, car le Roi s’était pris d’amitié pour les jeunes amoureux dont l’histoire avait fait le tour des provinces et apporté un peu de fraîcheur dans les conversations de la Cour des Valois. Il convoqua les futurs époux pour le mariage qui eut lieu à la Cour, le 20 mai 1571, dans la chapelle du château de Gaillon. Sans doute le souverain trouvait-il de bonne politique de faire célébrer dans ses murs une union qui apparaissait comme mixte. C’est l’évêque même de Saint-Malo qui donna la bénédiction. La mariée de 17 ans était couverte de tissu d’or et ornée des bijoux de la Couronne de France !

    Les deux époux n’eurent qu’une hâte : rentrer en Bretagne, retrouver la paix de leur conscience, et faire publiquement profession de Calvinisme.

    « Pour mettre fin aux importunités de retourner à la Cour, à la première cène qui fut administrée en l’Église [réformée] de ce quartier, j’y accompagnay ma femme », écrivit Charles Gouyon, « et après avoir rendu raison de ma foy, j’y participay avec elle, qui en receut un très grand contentement[1]« .

Jean-Yves Carluer

[1] Mémoires de Charles Gouyon, baron de La Moussaye, 1901, p. 119.