Une duchesse venue de Hollande pour les huguenots bretons…
La mort du jeune comte de Laval en 1604 est une véritable catastrophe pour le parti catholique de Vitré, Laval et Montfort. La perspective d’une restauration définitive de l’Église romaine en ces lieux s’éloigne définitivement. Le nouvel héritier est bien jeune encore, car il est tout juste âgé de 6 ans, mais il est entouré d’une famille solidement protestante. Henri de la Trémoille n’était pas un mince personnage. Feu son père avait été un compagnon de lutte du roi Henri IV, quoique un peu mis à l’écart ensuite. Ses titres occupaient à eux seuls la moitié d’une page : « prince de Talmont, prince de Tarente, de Villefranche, duc de Thouars, comte de Guînes, de Jonvelles, de Taillebourg et de Benon, de Sérigné, de Didonne, de Loudun, de Mauléon, et de Berrie, marquis d’Espinay, baron de Sully et de Craon » . Le nouvel héritage de son fils le faisait également « comte de Laval sous le nom dynastique de Guy XXI, vicomte de Rennes et de Bais, baron de Quintin, de Vitré, seigneur d’Avaugour, châtelain du Désert à Domalain, seigneur de Bécherel et de Châtillon-en-Vendelais ».
Le passage de tous ces fiefs entre des mains protestantes explique aussi pourquoi l’héritage des Laval se trouva immédiatement contesté par le prince de Condé et la duchesse d’Elbeuf. Mais leur proximité généalogique étaient insuffisante. Une série de procès s’annonçait, où ces prétendants eurent affaire à forte partie. La propre mère du jeune Henri de la Trémoille, Charlotte Brabantine de Nassau (1580-1631), défendit brillamment ses intérêts.
Charlotte Brabantine est le personnage clé de la renaissance du protestantisme à Vitré. C’était une femme de tête et de pouvoir. Bon sang ne peut mentir, elle était la fille de Guillaume d’Orange, dit Le Taciturne, fondateur des Pays-Bas, et de Charlotte de Montpensier (1546-1582) qui s’enfuit en 1571 de l’abbaye Notre-Dame-de-Jouarre où elle avait été faite religieuse puis abbesse contre son gré. Cette dernière épousa Guillaume le Taciturne quatre ans plus tard et lui donnera six filles, dont notre Charlotte Brabantine qui se trouvait être, grâce à ces liens familiaux croisés, à la fois cousine germaine du roi de France et du stathouder de Hollande tout en étant belle-sœur du chef protestant en Allemagne, l’Électeur palatin.
La duchesse douairière de Thouars, avantage non négligeable, jouissait de l’estime du roi Henri IV et de Marie de Médicis qui la jugeait parfaitement capable de « bien ménager » son domaine1. On était alors en 1605, et Charlotte Brabantine était une jeune veuve de 25 ans, qui refusa ultérieurement toute proposition de remariage pour mieux se consacrer à ses devoirs et à ses trois enfants survivants. Disons aussi que la duchesse douairière appartenait au parti des huguenots « modérés », qui, à l’inverse de Rohan, cherchaient le salut de leur parti dans des accommodements avec la Cour. Sans doute, aussi, comme fille de Guillaume Le Taciturne, avait-elle une vision européenne de la place du protestantisme et ne cherchait pas à attiser les conflits locaux et nationaux dans le royaume.
Dès que Charlotte Brabantine apprit que son fils Henri était l’héritier des comtes de Laval, elle agit immédiatement, en accord avec le roi qui lui fit don des frais de mutation. Il lui fallait d’abord désarmer les autres héritiers potentiels. Cela prit des années. Finalement, Anne d’alègre, veuve de Paul de Coligny, consentit à acheter sa part de la baronnie de La Roche-Bernard. C’était, assurément, au détriment du protestantisme à l’embouchure de la Vilaine, mais d’après Charlotte Brabantine, c’était la grande seigneurie immédiatement négociable à cette époque. A l’exception de L’Isle-Bouchard, où résidaient des Huguenots, il n’y eut pas d’autres terres protestantes abandonnées, malgré la gène financière récurrente des La Trémoille.
Charlotte Brabantine comprit immédiatement le rôle clé de Vitré au sein du protestantisme breton. La ville était alors la seule à disposer d’une bourgeoisie d’affaires de foi huguenote d’où pouvaient surgir de nouvelles lignées de pasteurs et de gentilshommes. Elle ménagea le subtil équilibre qui avait déjà été institué par Paul de Coligny en répartissant entre les familles des deux confessions les charges des principaux offices. C’est ainsi que la garnison du château de Vitré fut confiée à Jean Nouail, sieur du Jaunay, et le gouvernement de la ville à Philippe du Matz, vicomte de Terchant. Les postes financiers revinrent, par contre, à des officiers catholiques.
La politique prudente et la gestion domaniale de Charlotte Brabantine de Nassau, duchesse de Thouars, n’ont pas peu contribué au maintien du tissu huguenot en Bretagne, et cela, sans parler de son action matrimoniale auprès d’autres grands seigneurs de la région.
1P. Marchegay, Correspondance de Louise de Coligny, Lettre du 22 janvier 1605, p. 47.