Bible en breton (9)

    Les révisions du Nouveau Testament Jenkins

    John Jenkins décède en 1872, laissant la mission baptiste de Basse Bretagne entre les mains de ses successeurs. Le premier est un de ses fils, Alfred Llewelyn, qui reprend l’héritage paternel autour de Morlaix. L’autre, le plus brillant de ses convertis, le jeune Guillaume Le Coat, qui a développé une œuvre qui devient de plus en plus autonome autour de la chapelle et l’école protestante de Trémel. Ces deux hommes ont à la fois les capacités et la légitimité nécessaires pour remettre en chantier les traductions. Ce sont de remarquables bretonnants qui ont grandi au milieu de la population locale et en connaissent les expressions. Alfred Jenkins peut se faire aider des érudits gallois et de ses collègues méthodistes de Quimper, James Williams et William Jenkyn-Jones. Guillaume Le Coat est le petit-fils de Guillaume Ricou, le collaborateur du premier Nouveau Testament de la mission. Ses années passées comme instituteur-évangéliste dans les Côtes-d’Armor l’ont familiarisé avec la culture et les attentes locales.

Nouveau Testament jenkins 1885

Première page de l’édition de 1885 du Nouveau Testament en breton révisé par Alfred Llewelyn Jenkins. Le propriétaire de ce volume avait noté au crayon sur la page de garde une phrase en langue bretonne : « Me zo ger a bed ken Doue hag ger Doue », expression où la Bible elle-même se présente au croyant : « Je suis la Parole qui conduit à Dieu, la Parole [même] de Dieu »

   Les dernières éditions du Nouveau Testament de John Jenkins arrivent à épuisement en 1882 et le comité de la société biblique britannique qui l’éditait, la British and Foreign Bible Society (BFBS), se trouve devant un choix : rééditer à l’identique la dernière version ou la mettre à jour. Car la langue bretonne, comme tout idiome, évolue avec le temps. L’expérience pastorale acquise au cours des années a identifié des faiblesses ou des imprécisions dans le texte en usage. Pour reprendre une argumentation faite par Le Coat, le choix initial de traduire, faute de mieux, le terme de « repentance » par celui de « pénitence » introduit de regrettables confusions. A cette lecture, les auditeurs restent dans un univers mental catholique.

    Un agent de la société biblique de Londres venu enquêter en Bretagne en 1882 recueillit de plus l’opinion que « la langue utilisée dans le texte semble être un mélange des quatre dialectes bretons […] En conséquence, le livre, partiellement compris par tous, n’est totalement compris par personne1 ». C’est mesurer la difficulté de toute traduction de la Bible en langue bretonne. Entre la langue savante de Le Gonidec, qui n’était pas en usage dans le population, et les multiples déclinaisons régionales entre diocèses et locales entre paroisses, la tâche ne pouvait être qu’un compromis, et comme tel, sujet à la critique. Aucune des traductions proposées ne pouvait faire l’unanimité.

    Alfred Jenkins accepta de réviser la traduction de son père. Il s’appuya sur les travaux de James Williams qui avait publié, dès 1873, une version bretonne du Livre des Psaumes qui manquait cruellement aux protestants. Les protestants ne disposaient alors d’autre version de l’Ancien Testament que l’édition de 1866 de la Bible de Le Gonidec, éditée à titre privé chez Prudhomme à Saint-Brieuc. Les évêques catholiques lui avaient refusé l‘imprimatur.

   De son côté, Guillaume Le Coat avait mis en chantier une révision du Nouveau Testament plus spécifiquement adaptée au breton trégorrois. Nous en parlerons dans un prochain article.

L’oeuvre d’Alfred Jenkins

    Restons-en donc ici à la révision de la traduction Jenkins du Nouveau Testament.

    Elle paraît en 1885, avec un tirage de 7050 exemplaires publiés par la BFBS. Elle est suivie, l »année suivante par une édition bilingue, breton et français dans la version Ostervald. Elle est éditée à 5000 exemplaires par la Société biblique française, rue de Clichy à Paris. Ces livres, un peu épais, se sont montrés utiles dans les communautés protestantes urbaines du Finistère. Ces Nouveaux Testaments bilingues ont été utilisés jusqu’au milieu du XXe siècle par les méthodistes de Quimper.

    De nouvelles éditions de la révision d’Alfred Jenkins paraissent en 1897, 1902, 1915 (bilingue), 1920, 1927, et enfin en 1935, dernière publication du texte biblique en langue bretonne. De plus en plus de Bas-bretons parlent alors le français et les comités de Londres et de Paris estiment qu’il n’est plus nécessaire de poursuivre dans cette direction. C’est sans doute cette réserve qui explique que les tentatives du pasteur Alfred Jenkins de faire éditer l’Ancien Testament n’aient pas dépassé le livre de la Genèse (1897). Les projets de révision de ses collègues Jenkyn-Jones et Gerlan Williams n’aboutirent pas non plus.

    Au total, la Société biblique britannique et son homologue de Paris ont fait imprimer conjointement un cumul de plus de 40.000 exemplaires du Nouveau Testament en breton, sans compter plus de 100.000 tirés à part des Évangiles. C’est dire l’importance de l’effort financier supporté outre-Manche et du flux de distribution du texte des Écritures en langue bretonne par les seules missions baptistes et méthodistes du Finistère. Car ce total ne tient pas compte des éditions bibliques du pasteur Le Coat, imprimées aux frais de la Trinitarian Bible Society, qui sont plus considérables encore !

(A suivre…)

Jean-Yves Carluer

1Rapport de la British and Foreign Bible Society, 1882, p. 22.