Nantes par Vaurigaud ch 6 A

     Arrivé au soir de sa vie, en 1879, le pasteur Benjamin Vaurigaud a pris le temps de rédiger cet ultime ouvrage, œuvre de maturité et d’érudition sur l’histoire d’une Église qui lui tenait à coeur, puisqu’il en était le pasteur depuis 1844. Au cours de ces trente-cinq années, ce président de consistoire avait taquiné la muse Clio avec bonheur. Il avait présidé à l’expansion numérique de sa propre Église et supervisé l’extension du protestantisme dans les cinq départements bretons.

    Son Histoire de l’Église réformée de Nantes, depuis l’origine jusqu’au temps présent, parue chez Fischbacher en 1880 est beaucoup plus complète et synthétique que ses précédents ouvrages historiques, quoique limitée dans son objet : l’auteur gère mieux la complexité des choses, il fait appel à de nouveaux documents découverts postérieurement, leur analyse est plus approfondie. Toutes ces raisons ont certainement plaidé pour que le pasteur écrivain se remette une dernière fois à sa table de travail. Désormais Benjamin Vaurigaud maîtrise mieux son art et fait état, par exemple de transcriptions sûres des écritures du premier XVIIe siècle, si difficiles à déchiffrer pour le Français contemporain.

    Il est dommage que cet ouvrage soit aussi rare. Notre but, ici, est désormais de le mettre à la disposition des lecteurs qui n’ont pas accès à une bibliothèque publique spécialisée en histoire de Bretagne.

    Nous avons déjà publié sur ce site les chapitres du premier livre de l’ouvrage, qui courent jusqu’à la signature de l’Édit de Nantes. Nous poursuivrons donc par le livre II, consacré au XVIIe siècle, et particulièrement bien informé sur l’application de l’Édit en Bretagne.

    Comme il y a deux ans, nous publierons progressivement les différentes parties de l’ouvrage, mais sans doute sous forme de livraisons plus modestes à chaque fois.

    Je dois confesser que je me suis largement appuyé sur une logiciel de reconnaissance automatique des caractères, mais l’intérêt en est vite limité, car l’informatique butte sans cesse sur les graphies d’Ancien régime. Que les lecteurs de ce site pardonnent les coquilles inévitables qui auront échappé à ma relecture.

Jean-Yves Carluer

B. Vaurigaud.

 LIVRE II

De  L’Édit à la prise de La Rochelle, ou régime de l’Édit avec pouvoir politique,

1600-1628

I

Vaurigaud, by Jean-Yves Carluer

Histoire ER Nantes

Oyseau, le pasteur de Nantes, n’avait point attendu l’enregistrement de l’Édit pour retourner dans son Église. Nous avons dit plus haut qu’il s’y trouvait au mois de juin 1598, c’est-à-dire peu de jours après la signature. D’après ce qu’il avait fait pendant les mauvais jours de la Ligue, visitant en secret les membres de son troupeau et même les restes épars des troupeaux voisins, on peut juger de ce qu’il fit après la paix. II n’est pas douteux qu’il réunit dans des assemblées plus ou moins nombreuses ceux des Réformés qui étaient demeurés dans la ville et ceux qui y étaient revenus. Toutefois, ce ne pouvait être encore qu’en cachette et par une sorte de tolérance de la part des magistrats.

Il fallait se hâter de rendre légale cette situation provisoire, sous peine de voir se produire des abus et peut-être des troubles. Mais bien qu’aux termes de l’Édit il dût y avoir au Parlement de Bretagne une Chambre mi-partie ou de l’Édit, ni le Parlement, ni les Réformés, ne semblaient disposés à en vouloir. En effet, sur leur demande, l’Assemblée de Saumur pria le roi, le 30 mai, de surseoir à la formation de celle Chambre. Leurs motifs étaient que, tout en se montrant disposés à l’établir, le Conseil privé voulait reconnaître la validité des lettres-patentes par lesquelles Mercœur avait été autorisé à évoquer devant ledit Conseil privé tout débat survenu entre lui et les Réformés. Le roi répondit (juin-juillet) que rien ne se ferait au détriment de ces derniers.

Il envoya un des maîtres des requêtes en Bretagne pour apprendre des principaux d’entre eux, réunis en assemblée, s’ils consentaient à la formation d’une Chambre de justice à Rennes sur les bases de celle qui venait d’être établie à Rouen.

Soit que les Réformés aient continué à ne pas l’accepter, soit que l’opposition du Parlement ait prévalu, il n’y eut point à Rennes de Chambre de l’Édit. C’est au Parlement de Paris que les Réformés eurent à en appeler.

Le Parlement de Rennes exécuta néanmoins les autres clauses de l’édit, et, conformément à l’ordre établi pour le ressort du Parlement de Paris, deux commissaires furent nommés pour le faire exécuter en Bretagne, l’un par le roi, le sieur de Kergrois, gentilhomme de la Religion1 ; l’autre par le Parlement, Charles Turcan, maître des requêtes. Ces députés ne vinrent à Nantes qu’au mois de février de l’année suivante. Ils commencèrent par Rennes l’accomplissement de leur mission. Aussi était-il de la dernière conséquence que cette première application des articles de l’Édit se fit dans un sens équitable et non restrictif, qui aurait créé un précédent fâcheux. C’est ce qu’avait bien compris François Oyseau, le pasteur de Nantes, qui pouvait redouter pour sa propre Église une telle conséquence, et qui semble avoir été chargé par l’Église de Rennes de soutenir ses intérêts.

Les commissaires avaient été nommés dans le courant du mois de septembre, et le mois suivant il s’était rendu à Rennes, d’où il écrivait à Mornay2 : « Monsieur, combien que le dernier édit de pacification ait été donné en cette province de Bretagne, néanmoins c’est la dernière de toutes où il a été vérifié et publié, et il a fallu pour les y contraindre que, finalement, Sa Majesté en soit venue jusques à l’interdiction des opposants, et les autres encore s’en sont acquittés si légèrement, qu’ils ont bien fait paraître qu’ils ne l’ont fait qu’à leur grand regret et par forme d’acquit ; au lieu que le funeste édit de 1535 fut par deux fois publié à robes rouges et proclamé par les carrefours, avec feux de joie et chants de Te Deum, comme cela leur a été représenté sur les refus qu’ils font de publier l’Édit de pacification , sous lequel ils jouissent à présent d’un si doux et heureux repos.

Maintenant que nous sommes venus enfin à l’exécution d’icelui Édit, et que commissaires nous ont été ordonnés pour cet effet, tous les jours naissent encore nouvelles difficultés qui nous le rendent presque du tout inutile, quelque instante poursuite que nous ayons faite pour jouir du bénéfice d’icelui. Au reste, Monsieur, nous avons ici Mme la maréchale de Fervacque3, laquelle s’est très vertueusement portée au rétablissement de quelques autres Églises de ce pays, ès-terres de Monseigneur son fils, mème avant la vérification et publication de l’édit, et maintenant se montre très affectionnée à l’installation de cette Église de Rennes, où elle n’a pas petit pouvoir, si on lui laisse jouir de ses droits, d’autant que son fief de la vicomté de Rennes s’étend jusques en la plus grande partie de la ville et faubourgs d’icelle, tellement que selon l’Édit elle est très-bien fondée à faire élection de son domicile dans ladite ville ; ce qu’elle est résolue de faire et les adversaires de s’y opposer, lesquels usent de toutes sortes d’artifices pour dissuader ma dite dame de poursuivre ce dessein, ce qu’indubitablement elle fera, surtout si elle entend que vous approuviez sa résolution, car je sais combien elle vous aime et honore. Nous vous supplions donc de vouloir prendre la peine de nous en écrire votre avis et de Messieurs de ladite assemblée. Mais c’est trop vous importuner et pourtant, en vous baisant très humblement les mains, nous ferons fin avec protestation que nous sommes tous, en général et en particulier, Monsieur, vos plus humbles et affectionnés à vous faire service, et au nom de l’Église de Rennes.

Rennes, ce 22e octobre 1600.

» Si la réponse aux soixante passages est achevée d’imprimer, et qu’on en envoie une cinquantaine d’exemplaires à Nantes, chez un marchand nommé le sieur Aveline, à la Fosse dudit Nantes, il les paiera et nous fera un singulier plaisir ».

Ce post-scriptum fait allusion à la conférence de Dupernon avec Duplessis.

(A suivre…)

1Kergrois d’Avaugour, seigneur de Saffré.

2Philippe Duplessis Mornay, ministre huguenot du roi Henri IV, et dépositaire de fait des intérêts de ses coreligionnaires.

3Anne d’Alègre, remariée depuis peu au maréchal de Fervaques, à ne pas confondre avec un personnage de Stendhal (!), était tutrice de son fils, devenu, après la mort de son père, baron de Laval-Vitré.