Les manuscrits scellés de Lorient

Les parchemins des pierres d’angle du temple de Lorient

 

(Ces documents m’avaient été communiqués en leur temps par Roger Marzelle, secrétaire de l’E.R.F. de Lorient-Vannes et historien du protestantisme morbihannais).

Le premier texte ci-dessous est la copie intégrale du parchemin trouvé dans les décombres de l’église sinistrée en 1943. Il a été à nouveau scellé dans la première pierre d’angle du nouveau temple au cours d’une cérémonie solennelle officielle, le 24 octobre 1954.

Le deuxième texte est celui du document qui a été joint au premier. Il relate les faits qui ont suivi jusqu’en 1954.

 

Premier parchemin (1862) :

 

 AU NOM DU PÈRE, DU FILS, ET DU SAINT-ESPRIT

     L’an de grâce 1862, le Comité missionnaire de 1’Église presbytérienne galloise, aidé des libéralités du peuple de Dieu, a fait élever cette modeste chapelle évangélique, pour servir à la proclamation du Salut complet et gratuit offert à tout pécheur par le glorieux Évangile de notre Seigneur Jésus-Christ.

 NOTICE HISTORIQUE

     Située au centre de la Bretagne française et fondée seulement en l’an 1709, la ville de Lorient, grâce à l’oeuvre mémorable de Louis XIV révoquant l’Édit de Nantes en 1685, ne fut pas un des théâtres de notre glorieuse Réformation introduite dans cette province en 1559. Livrée dès sa fondation à la puissance papale, cette ville demeura sous le voile du catholi­cisme romain jusqu’en 1827.  A cette époque, par une direction divine, le Roi Charles X ayant confié la défense de cette forteresse à un régiment suisse suivi, par ordonnance royale, d’un aumônier protestant, ledit aumônier, nommé Louis BONNET, y établit le culte réformé et prêcha jusqu’en 1830 les vérités évangéliques dans le Tribunal civil situé rue de l’Hôpital. L’oeuvre commencée par le Pasteur Louis BONNET fut poursuivie jusqu’en 1836 par les pasteurs MALHERBE et MULLER de Rennes, par le pasteur LE FOURDREY de Brest qui venaient de temps à autre y faire des prédications, enfin par le Pasteur PONSON qui y résida quelques mois avec mandat de la Société Évangélique de France.

     En 1847 le Pasteur WILLIAMS, de Quimper, agent de l’Église presbytérienne galloise, fut sollicité par les frères réformés de Lorient de subvenir à leurs besoins religieux. Il y ac­céda et se partagea entre Quimper et Lorient jusqu’en 1851, époque à laquelle le Comité mis­sionnaire de l’Église presbytérienne galloise résidant à Liverpool, touché à la vue de ce peuple plongé dans les superstitions romaines et considérant que des souvenirs historiques de nationalité et de langue établissaient des liens étroits entre les Gallois anglais et les Bretons français, se chargea définitivement de 1’Évangélisation de la population de Lorient et y plaça à poste fixe le 29 juillet 1851, à titre de missionnaire, celui qui, malgré son indignité, a le privilège de léguer cette notice à la postérité, confirmant par là l’immua­ble bonté de Dieu qui veut bien se servir de faibles instruments pour proclamer son amour pour les pécheurs et rassembler ses élus.

     Le culte réformé, célébré à Lorient régulièrement ou à de longs intervalles, dans le tribunal civil jusqu’en 1852, fut transféré le 17 janvier 1852 dans le tribunal de commerce situé à l’Hôtel de Ville où il s’est continué et où, s’il plaît à Dieu et à la bienveillante autorité municipale qui nous a concédé ce local, il se continuera jusqu’en décembre 1862, moment fort désiré où la chapelle évangélique actuellement en construction sera consacrée au Seigneur et à la prédication de la Parole de sa Grâce.

     Le Comité Missionnaire de l’Église presbytérienne galloise représentée en Angleterre par les frères David DAVIES, Edouard PETERS, John WILLIAMS, David CHARLES, Griffith THOMAS, Mordecoi JONES et John ROBERTS supplie le Seigneur de faire que cette chapelle soit un moyen d’amener beaucoup d’âmes à reconnaître leur misère et à chercher le Salut qui ne se trouve que par la foi au sacrifice expiatoire de notre adorable Sauveur Jésus-Christ.

    Fait à Lorient (Morbihan), et scellé dans la pierre angulaire de la susdite chapelle évangélique en présence de Émile AME, architecte, et RIGAUD Antoine, entrepreneur, ce jour 26 juillet 1862,  par Jacques PLANTA originaire de SUSS,  canton des Grisons,  Suisse,  agent missionnaire du comité ci-dessus désigné. Assisté du petit nombre de frères et soeurs qui sont jusqu’ici le fruit de son Ministère et dont les noms suivent: LEGUEN François et Jeanne EVANO son épouse, NOYERIE Louis et son épouse, ROBERT Jean-Baptiste, Michel BERTIL BROCHER Henry, JAFFRO P-M., lesquels ont émargé sur le cachet:

ÉGLISE ÉVANGÉLIQUE RÉFORMÉE. LORIENT.

A  TOUS AVENIR

SALUT ET BENEDICTION  JUSQU’EN LA VIE ETERNELLE

Deuxième parchemin (1954) :

 Au moment de sceller à nouveau dans les murs du nouvel édifice cultuel de l’Église réformée de Lorient le parchemin déposé le 26 juillet 1862 dans la pierre d’angle de la première chapelle protestante, il nous semble bon de compléter la notice historique dudit parchemin par un récit des événements principaux qui illustrent cette période de 1862 à 1954.

 

Samuel BOURGUET, dans une étude biographique sur WILLIAMS JENKINS-JONES, écrit les détails suivants, intéressant notre Église:

Devant les difficultés croissantes qui rendent le travail impossible à Quimper, WILLIAMS tourne ses regards vers Lorient où, au cours d’une première visite en 1845, il a trouvé les autorités moins ligotées qu’à Quimper. Il décide d’y établir un poste. C’est dans ce poste que le Pasteur proposant PLANTA est consacré. C’est la première consécration en Basse-Bretagne depuis la Révocation de l’Édit de Nantes.

Il serait nécessaire de construire une Chapelle à Lorient, mais l’insécurité qu’offre la

situation politique du Second Empire fait longtemps hésiter les directeurs de la Mission. Et, lorsqu’enfin ils se décident, ils se heurtent à de grandes difficultés. Sur ce point encore la loi est très sévère : le permis de construire n’arrive que quatre ans après la première demande et pendant la construction, le travail est fréquemment interrompu par les autorités pour enquêtes supplémentaires : d’où viennent les fonds pour construire, d’où vient le Pasteur, qui le paie ? … etc… Enfin, deux ans après, la chapelle est prête, l’inauguration a lieu le 22 mai 1864.

En janvier 1865,  J.-J. PLANTA se sépare de la Mission après quatorze ans d’un ministère béni à Lorient. Il est remplacé par un jeune pasteur de Fontainebleau, Racine BRAUD. Un an après son arrivée, Racine BRAUD donne cette statistique qui nous donne un aperçu sur l’état de l’Église à ce moment-là:

Protestants adultes    : 52    (12 Bretons, 18 Français, 10 Suisses, 9 Anglais, 2 Américains,

1 Allemand).

Enfants :                      30

Adhérents :                 50, presque tous catholiques romains

Membres communiants : 20

Prosélytes                   : 12, dont 9 Bretons, 3 Français.

 

…Braud ne connaît pas le breton et ne peut par conséquent atteindre le peuple. Il est moins missionnaire que pasteur.

…Le secrétaire de la Société des Missions visite la Bretagne en 1887 et établit dans son rapport que Lorient est loin d’être un centre propice au développement de la Mission à cause de l’influence du clergé. Le Comité de la Mission de l’Église presbytérienne galloise décide la cessation de l’oeuvre à Lorient. La Chapelle est louée à la communauté protestante de. Lorient.  Toutefois,  le Comité accorde une allocation à Lorient jusqu’en 1881, moment où le Pasteur BRAUD quitte Lorient.

En 1890 le poste est cédé à la Société Centrale d’Évangélisation qui en a encore la charge à ce jour.

Pendant cette première moitié du vingtième siècle, le poste de Lorient n’a cessé de se développer. Les Pasteurs KESSEL et BENIGNUS y ont tout particulièrement fait oeuvre féconde. Il vrai que ces heureuses périodes correspondent aux moments d’accalmie qui ont précédé et si la première guerre mondiale de 1914-1918. La chapelle est pleine aux jours de fêtes chrétiennes. Il y a en moyenne 50 personnes au culte les dimanches ordinaires. En 1939, une nouvelle guerre mondiale se déclenche. Lorient, port de guerre, est particulièrement exploité par Allemands qui occupent la FRANCE. En 1942 le Pasteur DELAHAYE, pasteur de Lorient à cette date, quitte Lorient pour échapper aux poursuites allemandes. En 1943, la ville de Lorient est évacuée sous les bombardements américains. La communauté est dispersée à Concarneau, Pontivy et Vannes. La chapelle construite en 1862 est rasée. Vannes et Pontivy, annexes de Lorient depuis 1925 connaissent une importance exceptionnelle.  Toutefois, le manque d’hommes, les difficultés créées par l’occupation rendent la desserte du poste occasionnelle.

En 1946, arrive le Pasteur Charles DIETZ, qui s’installe à Vannes et qui dessert Concarneau et Pontivy. Lorient inhabité est en ruines. Les Allemands y ont encore résisté un an après la libération du territoire. En 1947, un baraquement est offert par le Conseil Oecuménique des Églises. Il sert encore actuellement de lieu de culte et de logement du pasteur. Le service religieux que célèbre le Pasteur DIETZ à Lorient en 1947 groupe une ou deux personnes. Peu  à peu, les  Lorientais  reviennent,  logent  dans  des baraques,  relèvent leurs ruines.

En 1951, le Pasteur Albert TRUBERT s’installe à Lorient. La communauté se reforme et retrouve ses activités passées. L’assistance au culte est de 40 personnes les dimanches ordinaires. En cette année 1954 où commence la reconstruction du Temple, Dieu semble nous bénir tout part particulièrement et les perspectives qui s’offrent à nous sont de plus encourageantes. Pontivy se développe, Vannes reste une grosse annexe qui risque de donner naissance, un jour prochain un nouveau poste. Redon, qui n’avait plus de communauté protestante depuis la Révocation de l’Édit de Nantes, en a à nouveau une, groupant une dizaine de foyers protestants ou sympathisants protestants.

 En cette année 1954 les effectifs sont les suivants:

                                                            Lorient            Annexes

Population protestante totale              121                  157

Enfants                                                   52                    49

Ecole du Dimanche                              30                    28

Catéchumènes                                        7                      7

 Liste des pasteurs qui se sont succédés à Lorient depuis la création du poste:

Louis BONNET  1827 – 1830

MALHERBE,   MULLER, LE FOURDREY (pasteurs desservants de Rennes et Brest)

PONSON 1836

1836 – 1847 pas de pasteur

James WILLIAMS 1847 – 1851

J-J.  PLANTA 1851  – 1865

Racine BRAUD 1865 – 1881

Charles KISSEL 1881 – 1911

Gédéon NIEL 1916 – 1927

Edouard BENIGNUS 1927 – 1934

Roger DELAHAYE 1934 – 1942

Charles DIETZ 1946 – 1951

Albert TRUBERT 1951

 

Fait à Lorient le 24 octobre 1954 et scellé dans la « Première Pierre » par Monsieur le Pasteur J-P. BENOIT, directeur de la Société Centrale d’Évangélisation et en présence de Monsieur PHILIPSON  Préfet du Morbihan,  de Monsieur MAJOUREAU,  Sous-Préfet de Lorient,  de Monsieur PENNOBER, Maire-adjoint de Lorient, de Monsieur le Vice-Amiral commandant la Marine à Lorient, et des autorités civiles et politiques du Département.

Assistaient à cette cérémonie solennelle: Monsieur le pasteur CHERADAME, président de la région bretonne, Messieurs les pasteurs R.E. FORGET de St-Servan, MARQUER de St-Brieuc, RAINAUD de Quimper, TRUBERT de Lorient, et les délégués de leurs Églises.

Notes : Nous avons corrigé quelques menues erreurs de lecture. L’Église presbytérienne galloise est connue en anglais sous les  deux noms de Welsh Calvinistic Methodist Church (Yr Eglwys Fethodistaidd Galfinaidd) et Presbyterian Church of Wales (Eglwys Bresbyterraidd Cymru). C’est la seule Église presbytérienne dans le monde qui tire ses racines du Réveil méthodiste du XVIIIe siècle et non de l’époque de la Réformation.

Pour plus d’informations sur les premiers débuts du protestantisme à Lorient, consulter le site : http://amisaumoneriebrest.wordpress.com/2013/04/30/1827-laumonier-louis-bonnet-celebre-le-premier-culte-protestant-a-lorient/

Jean-Yves Carluer

3 réponses à Les manuscrits scellés de Lorient

  1. Ping : 1827 : l’aumônier Louis Bonnet célèbre le premier culte protestant à Lorient | Les amis de l'aumônerie protestante de la Marine à Brest

  2. Elisabeth Le Tutour-Delahaye. dit :

    Mes parents, le pasteur Roger Delahaye et son épouse, sont en effet arrivés à Lorient en 1934. Ils avaient déjà quatre enfants, un fils et trois filles. C’est là que je suis née, en 1935. Ils ont ensuite eu deux fils, l’un nommé Olivier, car il est né le 2 Septembre 39. Nous avons habité d’abord rue de l’Hôpital, puis 59 rue de Beauvais. Leur départ fut en effet motivé par des avertissements au sujet , entre autres, d’intempérences de langage en chaire: il n’avait pas accepté, en effet, les lois antisémites de Vichy.

    • BRUZAC LE BERRIGAUD dit :

      à l’attention d’Elisabeth Le Tutour-Delahaye

      Bonjour,
      Je découvre vos commentaires concernant l’arrivée de vos parents à Lorient.
      Actuellement, je fais un travail de recherche sur la vie des femmes à Lorient et les associations féministes (1900-1945). Je parle notamment de la prostitution. Il semble que votre père dont j’ai comme prénom « Jean » aurait fait une enquête au titre « comment on s’amuse à Lorient » écrit en 1935 ou 1937.
      Avez-vous connaissance de ce document ?

      Très cordialement

      D. Le Berrigaud

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