L’Édit de Nantes : une paix armée…
Nous poursuivons l’examen des clauses de l’édit de 1598 et de ses textes annexes relatifs aux Réformés.
Une composante importante de l’Édit consistait en « brevets » qui furent accordés aux protestants. Deux seulement étaient contemporains de l’accord. Ils corrigeaient un peu les avantages accordés aux Ligueurs dans les articles secrets. En particulier, le brevet du 15 avril 1598 accordait une subvention annuelle aux huguenots pour les charges de leur culte : cette libéralité se révéla fort utile aux plus petites Églises de Bretagne, qui avaient de sérieuses difficultés à entretenir leur pasteur1.
Le brevet du 30 avril, qui accordait des lieux de refuge, 51 places de sûreté et 16 places de mariage avec garnison protestante à la charge du roi, était fondamental pour les huguenots du Royaume, mais ne concerna que peu la province .
La Bretagne bénéficia de deux places de sûreté, mais de second ordre2. Ce n’étaient pas des villes de sûreté comme Saint-Jean-d’Angely ou La Rochelle, mais de simples places de mariage qui recevait des détachements relevant de Saumur : Vitré, (28 hommes) et Châtillon-en-Vendelais (12 hommes)3. La distinction était d’importance, car seuls les châteaux et non les villes étaient réputés espace protestant, ce qui était parfaitement logique dans la mesure où Châtillon n’accueillit jamais de culte réformé, tandis que les protestants de Vitré ne représentaient qu’un habitant sur dix de la cité drapière. Pourtant, avec sa garnison de 28 hommes, la cité d’Anne d’Alègre était la plus importante des places de mariage du royaume, au niveau de villes de sûreté comme Bergerac ou Casteljaloux. Plus qu’une hypothétique faveur accordée à la veuve de Guy de Coligny, il faut sans doute y voir l’intérêt bien compris du roi. Durant toutes les guerres de Mercoeur, Vitré, tenu par les protestants, avait garanti l’accès de la Bretagne aux troupes de la monarchie. Le Béarnais n’entendait pas abandonner cet avantage.
Mais ailleurs, les citadelles protestantes subirent les tentatives de démolition suscitées par les catholiques et appuyées par les pouvoirs provincial et royal. Après les longues années de guerre, les populations étaient excédées par la vue des donjons qui avaient abrité tant de garnisons pillardes. Les châteaux qui avaient perdu toute valeur défensive comme Blain n’étaient pas concernés, mais les États de Bretagne ordonnèrent la destruction de quelques autres. C’est ainsi que Fougeray et Derval connurent la pioche des démolisseurs. Seul le donjon de Fougeray resta épargné suite aux recommandations des Etats en 1598. Quelques forteresses huguenotes bretonnes échappèrent également, à la suite d’accords reconnus officiellement. Peu avant 1610, le roi accorda aux deux grandes familles protestantes de Rohan et de Châtillon-Rieux le droit de se garder eux-mêmes à Blain, Châtillon, Josselin, Pontivy, Rohan, et La Roche-Bernard4.
1 Les subventions annuelles n’étaient accordées en droit que pour l’entretien des temples et bâtiments.
2 La Ville de Pontorson fut refusée comme place de sûreté par l’Édit de Nantes, mais Montgommery, comme capitaine, faisait célébrer le culte dans le château. La suppression de l’exercice, avec transfert à Cormeray est plus tardive.
3 Manuscrit du 18 mai 1598, cité par Haag, La France protestante, t. III, p. 258. Une place de mariage était une forteresse appartenant à des gentilshommes huguenots, où pouvaient être détachés quelques hommes de la garnison des places de sûreté voisines. Le château de Vitré et la place de Châtillon-en-Vendelais (du moins ce qui en restait car les défenses avaient souffert de violents combats) étaient aux Châtillon-Rieux puis passèrent aux La Trémoille, celui de Beaufort (près de Dinan) aux La Moussaye.
4 Recueil du fonds de Brienne N° 220, cité par Haag, Op. Cit., III, p. 259. Cette fois, il y avait égalité entre les Rohan et les héritiers de d’Andelot.