Nous poursuivons la transcription des actes du synode de Ploërmel (février 1565). Les pasteurs et anciens réunis en cette occasion abordent les derniers problèmes particuliers qui leur ont été soumis par les Églises réformées de la province.
Il leur est demandé de trancher des affaires complexes avec très peu d’informations sûres. Les cas les plus faciles à gérer restent les désaccords internes aux communautés protestantes.
Voici la plainte d’un proposant pasteur nommé Patrice Le Bastart, sans doute originaire de Rennes, dont la candidature avait été rejetée lors d’un synode précédent. On lui avait reproché un certain nombre de fautes et sa réputation n’était pas sans taches. Pourtant ce dernier décida de faire appel. La transcription des actes du synode de Ploërmel est ici peu claire. Les notaires royaux qui avaient essayé de déchiffrer le manuscrit original ont visiblement buté sur des problèmes d’écriture ou de conservation du texte de 1565. Ce que l’on peut sans doute conclure, c’est que le proposant Le Bastard avait maladroitement aggravé son cas dans l’exposé écrit de sa nouvelle demande. Il a donc été définitivement ajourné. On ne connaît pas de pasteur de ce nom dans la France du XVIe siècle. Pour ceux qui voudraient en savoir plus, voici le texte qui nous est parvenu :
Pour ce que Me Patrice Le Bastart se plaignant que, au sinode tenu à Rennes le dix huitiesme jour de Décembre mil cinq cents soixante et deux, il fut chargé de commis [sic], qu’il a cy devant demandé de en estre deschargé, a esté respondu que cela ne estoit une charge veu qu’il luy fut dict à la censure apprès une proposition qu’il fist audit sinode non par pour l’en accuser mais pour l’advenir du bruit qui couroit puis que ceux qui se préparent au ministère comme ils semblent faire, doibvent avoir bon thémoignage, mesme de ceux du dehors, au reste pour ce que depuis ladite censure et ledit sinode ja parachevé, de Rennes mesme lescrivit audit sinode une lettre par laquelle il maintient que ceux n’ont affaire de vacation extérieure qui ont l’intérieure, se repantant de certe, présantement devant eux et priant Dieu de luy pardonner ceste faute, ladite lettre publiquement lue en l’assemblée et luy estant proposé, et confessé l’avoir escrite et l’opinion y contenue estre très pernitieuse de ne la vouloir tenir, qui a esté cassée ».
Si le synode était compétent pour prendre des décisions concernant l’exercice du ministère pastoral, il avait également à trancher dans des affaires qui seraient aujourd’hui du domaine de l’état-civil.
Des problèmes complexes de vie privée
Voilà sans doute un des plus riches apports des actes synodaux. Les problèmes de couple qu’ils ont à trancher sont par définition complexes puisque aucun accord n’avait pu être trouvé au niveau des Églises. Mais les pénibles affaires qui remontent jusqu’aux synodes provinciaux nous projettent dans la vie quotidienne de ces premiers huguenots.
Ils partagent avec leurs contemporains les aléas d’une société secouée de multiples chicanes, dues en grande partie à la remise en question ou l’absence éventuelle des actes essentiels de la vie civile. Mais les premiers protestants, même dans les périodes de paix et de relative tolérance, se trouvent devant une difficulté supplémentaire : la concurrence des juridictions. Dans une société toute catholique, le magistrat compétant aux affaires familiales est l’official, le juge du diocèse, habituellement un chanoine qui représente l’évêque du lieu. Les Réformés n’y font pas appel et se tournent vers leurs pasteurs pour dire le droit qui les concerne. Mais si des conflits opposent des conjoints des deux confessions, que décider ?
Le synode de Ploërmel s’est penché sur trois affaires matrimoniales caractéristiques de l’époque :
La première concerne la validité des promesses de mariage, dont on sait qu’elles avaient presque valeur d’union civile et étaient réputées indissolubles. Mais le synode n’hésite pas à passer outre si d’anciennes promesses vont à l’encontre de l’intérêt d’une coreligionnaire et si une compensation financière a déjà été négociée :
« Une femme veuffve estant femme [fiancée ?] à un de l’église ainsi que en faisoit les antiens [? sic] un papiste se oppose alléguant qu’il avoit promesse avec elle avant ladites fiances par avoir lien à elle au nom de mariage et luy donné des voix, ce que elle nye au consistoire où ils sont ouis, toutefois pour ce qu’il ne voulloit cesser, le consistoire ne passe oultre, depuis icelle ne vouloir comparoir par devant l’official de Rennes ou par plusieurs fois il l’avait fait citer. S’en est ensuivy un accord entre eux et quittance signée de notaires, scavoir si le consistoire peut passer oultre au mariage, a esté respondu que ouy, attendu que ladite quittance démontre asses la légèreté et peu de pris des promesses, que aultrement et si elles estoient deuement faictes ne se pouroient dissouldre ».
Le retour d’un mari « décédé »…
Une deuxième affaire matrimoniale est encore plus complexe. Elle nous transporte au cœur de la communauté protestante de gens de mer qui composait l’Église du Croisic. L’épouse d’un marin du lieu, porté disparu mais en réalité fait prisonnier à la suite d’un combat naval, s’était remariée au bout de plusieurs années. Le nouveau couple s’était converti au protestantisme. Et voilà que le premier mari réapparaît ! Une telle situation n’était pas rare au XVIe siècle. La plus célèbre est l’affaire Martin Guerre qui fut jugée alors en appel par les magistrats de Toulouse et se termina tragiquement.
Dans l’affaire du Croisic, les pasteurs sont prêts à donner raison au premier mari, resté pourtant catholique, au nom du principe de l’indissolubilité du mariage. Mais, coup de théâtre, l’un des participants annonce au synode que le marin réapparu était en réalité déjà bigame. C’est une excellente nouvelle pour le couple protestant, mais il importe de la prouver. On ne sait comment se termina cette affaire :
« Une femme dont le mary estait allé en guerre, en mer où il fut prins et mis aux gallères, ayant entendu qu’il estoit mort fut espousée à un autre avecq lequel ayant conversé quelque temps, tous deux ayant receu la cognoissance de vérité se sont rangés en l’église de Dieu au Croisic. Depuis le mary qui avoit esté absant environ onze ou douze ans estant de retour repète[2] sa femme, la fait citer par devant l’official de Guérande, où, ne voulant comparoir, ledit mary se présenta au consistoire de l’église dudit lieu où lui fut proposé par aulcuns que auparavant avoir espousé cette femme, il en avoit espousé une autre au Heble[3] […] neuff s’offrant de en faire preuve : scavoir commant le consistoire y doibt procéder, a esté respondu qu’on envoyra homme exprès au Heble [… ] pour se informer de la véritté du fait et en apporter lettres certaines affin que s’il est ainsi prouvé ladite femme demeure au second prétendu mary duquel elle sera advertie de s’y séparer de luy, et cependant ce temps, on aultrement ils ne seront receus à la Cène, ou que si elle ne se trouve elle soit rendue au premier ».
La dernière affaire concernent encore des promesses de mariage. Le synode de Ploërmel s’honore en annulant des engagements imposés à des enfants :
« Un prestre estant d’accord avecq une veuffve de marier son frère avecq une fille d’icelle, tous deux mineurs d’environ douze ans les contraignirent de y consentir combien qu’ils y résistassent et firent faire les annonces. Depuis estants devenus majeurs et s’estant rangés en l’église, ledit frère demande ladite fille luy estre baillée en mariage suivant les promesses, ce qu’elle refusant, il se plaint au consistoire, demande comme il se y doibt porter : a esté respondu que les promesses sont nulles veu l’aage des personnes quand elles furent faites et la contrainte ».
(A suivre…)
[1] Nous ne savons rien de ce synode. Il est possible qu’il y ait une erreur de date dans la transcription.
[2] C’est-à-dire « redemande ».
[3] Assez probablement Heinlex, (terme prononcé Henlé, en breton « vieille cour », seigneurie et frairie dépendant de la paroisse de Saint-Nazaire. Il y avait là une chapelle dédiée à Saint-Avé. Un mariage discret aurait pu y être célébré.