Henri Fargues (1837-1906), pasteur nantais

     Henri Fargues appartenait à une lignée pastorale. Son père, le pasteur Jacques Paul Fargues (1802-1842) était en charge de la paroisse des Vastres, une commune en grande partie protestante battue par les vents près du Mont Mézenc, sur les plateaux de la Haute-Loire. Engagé dans le camp évangélique, il avait la réputation d’être proche des dissidents qui s’organisaient dans la région toute proche du Chambon-sur-Lignon. Son fils, Henri Paul Émile nait aux Vastres en 1837, peu avant la mort d’un père dont il adoptera les convictions.

     Henri Fargues fait ses études à Cahors, aux côté de Léon Gambetta dont il restera très proche. Mais il se destine au ministère. Après ses études de théologie, il se rend à Philadelphie, aux Etats-Unis, où il fonde une école de langue française et prend en charge une communauté francophone.

     A son retour en Europe, il épouse en 1864 à Renan, dans le canton de Berne, une jeune fille suisse, Évodie Brandt, qui lui donnera 4 enfants. Il est bientôt appelé par l’Église Réformée de Tonneins (Lot-et-Garonne) où il est choisi par la majorité évangélique à la suite d’un conflit interne qui l’avait opposée aux libéraux[1]. Il se fait bientôt remarquer, car il n’hésite pas à venir prêcher en 1867 dans l’Église libre de Clairac, non loin de là, pour y accueillir les Réformés de tendance évangélique minoritaires de cette petite ville. L’affaire fait quelque bruit sur le plan local, mais l’attitude d’Henri Fargues n’est pas pour déplaire au bouillant Benjamin Vaurigaud, alors président du consistoire de Nantes et chef de file du camp orthodoxe-évangélique dans les violents affrontements qui déchirent alors les communautés protestantes françaises. Aussi l’appela-t-il à Nantes en 1874 comme pasteur en second pour succéder à Jean Sohier qui venait de décéder prématurément.

Nantes, temple de la place de Gigant. La chaire monumentale, où prêcha Henri Fargues, telle qu'elle existait encore en 1943 (André Privat, Cités mortes...  Dieu vivant, 1990, p. 160).

Nantes, temple de la place de Gigant. La chaire monumentale, où prêcha Henri Fargues, telle qu’elle existait encore en 1943 (André Privat, Cités mortes… Dieu vivant, 1990, p. 160).

     Le ministère d’Henri Fargues se déroula pendant presque un quart de siècle à Nantes, à un moment crucial où l’ancienne bourgeoisie d’affaires qui dominait numériquement la communauté protestante était de plus en plus relayée par des représentants des classes moyennes. Le pasteur y exerça des responsabilités croissantes, devenant à son tour président du consistoire.

Ministre du culte et militant républicain

     Correspondant de plusieurs journaux scientifiques et politiques, Henri Fargues se mêla à la vie intellectuelle de la cité. Il devint un des membres les plus actifs de la Société académique de Nantes, rédigeant une foule de mémoires et multipliant les conférences. Il s’intéressait à tout : on lui doit une histoire du temple de Charenton, des observations sur les chutes du Niagara, des études théologiques, ainsi que plusieurs ouvrages pour les enfants.

     Sur le plan politique, le pasteur Fargues est un républicain convaincu, actif dès la fin du Second Empire. Ses modèles sont américains. Il avait écrit à Tonneins en 1867 une biographie d’Abraham Lincoln. Il poursuit par une Vie de George Washington.

     Il traduit en 1879 l‘Histoire de la démocratie en Europe de Thomas Erskine May. De tous les pasteurs de Bretagne, il est sans doute, avec bien sûr Guillaume Le Coat, le plus engagé dans les combats de la République.

     La liberté que revendiquait Henri Fargues, c’était aussi pour les protestants réformés le droit de pratiquer le prosélytisme. Dans un article qu’il publie en avril 1891, il proclame fièrement que « l’Église dont il est un des pasteurs [Nantes] a reçu au cours des 20 dernières années un nombre important de catholiques. Plus de 200 membres de ma congrégation sont d’origine catholique »[2].

     Avec son ami Hyppolyte Durand-Gasselin, Henri Fargues s’attache à disséminer le culte protestant dans la région. Il défend notamment les projets des Réformés de Saint-Nazaire. Aussi appuie-t-il résolument, à la fin de sa vie, l’implantation d’un poste de la Mission Populaire à Nantes. Un des atouts de ce qui deviendra la Fraternité de Nantes-Chantenay a été de pouvoir disposer d’un financement important. La majeure partie provenait d’un comité de soutien américain organisé à Morristown, non loin de Philadelphie. Le pasteur Fargues a servi de relais dans cette collaboration.

     La santé d’Henri Fargues s’est affaiblie assez vite puisqu’il a dû être épaulé par un pasteur suffragant dès 1896, un an avant sa retraite. Il s’éteint en 1906.

     Les enfants du pasteur, membres de l’Église réformée de Nantes, ont été très actifs au sein de la Mission Populaire locale. Sa fille Amélie, qui tenait l’harmonium les premières années, y rencontra son mari. Émile Fargues (1877-1918), le dernier fils d’Henri, devenu médecin, exerça bénévolement à la Fraternité de Chantenay mais mourut pendant la guerre d’une maladie contractée sur le front. Paul, l’autre fils, devint pasteur au Mans puis à Lyon.

Jean-Yves Carluer

[1] André Encrevé, Protestants français au milieu du XIXe siècle, Labor et Fides, 1966, p. 773.

[2] Henri Fargues, « The religious condition of Brittany », The American McAll Record, vol. IX, avril 1891, p. 16.