Une concentration exceptionnelle de seigneurs protestants s’est maintenue pendant plus d’un siècle sur les lisières nord du diocèse de Nantes. C’est là où l’évêque de Nantes cède la place à monseigneur de Rennes ou même au comté d’Anjou tout proche. C’est une zone de contact assez complexe, comme il en existait beaucoup dans la France d’Ancien Régime. Les terres y sont assez fertiles, ce qui n’empêche pas de vastes forêts de s’y développer, signe habituel des territoires frontaliers d’autrefois. C’est peut-être le point commun aux paroisses qui formaient l’arc huguenot, à deux ou trois lieues au nord de la petite cité de Châteaubriant : elles s’étirent sur les lisières de la forêt de Teillay, dans une région où l’activité dominante est la métallurgie du fer. Les nodules métalliques dispersés un peu partout dans la campagne étaient exploités dans des installations sommaires, dite « bas-fourneaux » qui permettaient d’obtenir un peu du précieux métal après force utilisation de charbon de bois.
Dans cette région, sur les paroisses de Saint-Sulpice-des-landes, Sion-les-Mines, Rougé ou Fercé, bien des manoirs ont abrité des familles calvinistes. Cet espace est devenu un des principaux pôles de la religion réformée dans la province. On retrouvait des fidèles locaux dans les Églises comme Châteaubriant et Bain-de-Bretagne aux meilleures années de l’expansion protestantes, et surtout à Sion-les-Mines, forte communauté qui en rassembla l’héritage jusqu’à la Révocation de l’Édit de Nantes.
Nous manquons de détails sur la façon dont les familles nobles concernées se sont converties au protestantisme. Nous n’en avons aucun récit. Il semble que cela remonte aux premiers temps de la Réformation en Bretagne : selon le pasteur Lenoir, sieur de Crevain, Châteaubriant était déjà organisée, mais sans pasteur, en septembre 1560. Un an après, l’Église était pourvue d’un ministre du culte et accueillait même un synode provincial. Elle serait, toujours selon Crevain, la quatrième plus ancienne communauté protestante de Bretagne.
Nous sommes donc réduits à formuler des hypothèses sur les causes de ce succès réformé sur les lisières de la forêt de Teillay. Sans doute faut-il éliminer une action du baron de Châteaubriant lui-même. En 1560, le suzerain de Châteaubriant est le célèbre connétable Anne de Montmorency (1493-1567), filleul de la reine Anne de Bretagne. Il est également l’oncle des Châtillon protestants, l’Amiral de Coligny et François d’Andelot, le protecteur des huguenots bretons. Mais le connétable de Montmorency est tout sauf favorable aux idées de la Réforme, et s’il tolère un temps une Église sur ses terres bretonnes, ce ne peut-être que provisoirement et par égard pour ses neveux. D’ailleurs l’exercice du culte calviniste s’éteint très rapidement à Châteaubriant même. La tentative d’implanter une communauté huguenote urbaine dans la région a échoué, comme souvent en Bretagne.
Cela nous ramène donc au rôle essentiel des gentilshommes des campagnes. Dans la baronnie de Châteaubriant, il faut chercher, comme on l’a vu, la volonté de réformation religieuse non pas du côté de la noblesse de cour mais du côté de la noblesse bretonne locale. Les pistes ne manquent pas. La vicomté de Fercé, à l’est de notre arc protestant, est en 1560 une possession du comte de Maure, dont nous savons qu’il a probablement été le premier huguenot breton. Il est appuyé sur le plan local par deux autres familles nobles, les Boispéan et bientôt les Appelvoisin. A l’autre extrémité, Sion-les-Mines et Saint-Sulpice-des-Landes sont des fiefs de puissants seigneurs au tempérament volontiers ombrageux, les La Chapelle de La-Roche-Giffard, alliés au réseau des Acignés protestants. A Rougé, c’est la maison des Chamballan qui accueille les premiers prêches.
Peut-on expliquer la concentration calviniste dans « l’arc huguenot »?
Une première hypothèse met en avant la situation de relative frontière de la région : les protestants ont relativement prospéré dans des espaces périphériques, qu’ils soient religieux ou administratifs, moins contrôlés par le catholicisme dominant. On en trouve un bel exemple dans l’ouest. C’est le groupe des communautés protestantes du Bocage normand, réparties sur la « frontière » entre l’orne et le Calvados, autour de Condé-sur-Noireau, Athis, Sainte-Honorine, Fresnes et Montilly[1]. Ce protestantisme, beaucoup plus étoffé en nombre que celui de nos Bretons, a su traverser les siècles et les persécutions jusqu’à aujourd’hui. Peut-être faut-il aussi définir comme un calvinisme des marges administratives un autre ensemble huguenot breton formé par Vitré et ses annexes de Terchant (dans le Maine) et La Vieuville (dans le Pays de Fougères).
Une deuxième hypothèse serait d’ordre socio-économique. Nous avons parlé de la forêt de Teillay prolongée d’ailleurs par celle de Javardan à Fercé, puis par celle de Juigné. La ressource en bois est fondamentale pour l’industrie métallurgique qui assure les revenus de nos seigneurs huguenots. On sait d’ailleurs qu’un des premier pasteur de la région fut un certain Olivier Oyseau qui exerçait localement comme gentilhomme-maître de forges dans la forêt de Juigné. Ces forêts sont la propriété d’établissements monastiques, à commencer par Teillay qui dépend d’un prieuré de l’ordre des Cordeliers établi à Saint-Martin. Les conflits récurrents sur les droits d’usage forestier auraient nourri une hostilité locale propice à la radicalisation religieuse réformée. On en a la preuve dans le cas particulier du marquis René de La Chapelle de La Roche-Giffard, que Roger Joxe décrit comme « irascible, odieux, brutal ». J’ajouterais personnellement « mauvais chrétien et peu intelligent ». Notre « hobereau avide de pillage » s’attaqua directement en 1562 puis en 1565 à l’ermitage des Cordeliers de Teillay, ajoutant le crime à l’incendie. Les Réformés de la région payèrent très cher pendant plus d’un siècle la faute originelle de l’un d’entre eux. Les relations seront désormais difficiles entre calvinistes et catholiques dans le Pays de Châteaubriant.
[1] Sur ce protestantisme, lire l’étude très documentée de Jacky Delafontenelle, Les protestants du Bocage normand, Condé-sur-Noireau, Éditions du Petit Chemin, 2007.
Bonsoir,
Retraité -amateur d’histoire locale- je suis natif de Petit-Auverné, né tout près du « cimetière des Huguenots ». Localement on évoque des ossements déterrés lors de travaux …
Certain texte évoque des mines de fer aux Épinards -en lien avec ces Huguenots- tout près, sur les rives du Don.
Existe-t-il des sources sur cette période et ce lieu??
Merci
Je reprends mon blog après une hospitalisation, ce qui explique le retard apporté à vous répondre. Mes excuses. Le protestantisme dans la région de Petit-Auverné et globalement de la vallée du Don est fort peu connu. Roger Joxe, dans son ouvrage sur les protestants du comté de Nantes, en parle pages 100 et 101 : « aujourd’hui encore, à la sortie de Petit-Auverné, une parcelle de l’hôtel Guillaume Roul est portée en jardin au cadastre sous le nom de Cimetière des Huguenots (section H 73). Dans la cour de cette ferme, des tombes sont visibles à fleur de sol. Des morts ont été enterrés sans cercueil; des os, un crâne, des linceuls d’étoffe noire ont été recueillis, mais il n’y a sûrement pas de foyer huguenot à petit-Auverné. l’érudit castelbriantais Chapron, qui visité ce lien supposa des huguenots travaillant aux mines de fer des Épinards, à 1500 m de là. Si huguenots il y eut, voir Roger Joxe : le protestantisme dans la haute allée du Don, Annales de Nantes et du Pays nantais, n° 141, 1967, p. 39 ».
Meilleurs salutations,
Jean-Yves Carluer
Bonjour et merci pour ce bel article.
Disposez-vous de documents sur l’ancien temple de Sion?
Merci beaucoup.