Tonquédec, forteresse protestante et royale -1

     Les ruines de la forteresse de Tonquédec, en Coatmen, ont encore fière allure. C’était assurément une des plus belles forteresse de Bretagne. Ses hautes murailles ferment l’axe de la rivière du Légué qui se jette dans la mer, non loin de là, à Lannion. Une triple enceinte, onze tours, un grand donjon, des murailles en pierre de taille de grand appareil d’une épaisseur qui dépasse souvent les quatre mètres, une cour intérieure aménagée en casernement : Tonquédec représentait une place majeure du système défensif du duché de Bretagne.

    C’était, au XVIe siècle, une fortification relativement récente puisque le château avait été entièrement reconstruit vers 1447 et l’avant-cour rajoutée depuis peu. L’édification de Tonquédec était l’œuvre des seigneurs  de Coatmen.

château de Tonquédec

Le château de Tonquédec. Vue aérienne. (Wiki commons)

   La vicomté passa dans la famille des Acigné par le mariage de Jean VI d’Acigné avec la dernière héritière de la branche aînée des Coatmen en 1487. Contrairement à ce qui a été dit par ailleurs, Tonquédec n’échut pas ensuite à sa fille, mais bien à son fils Jean VIII d’Acigné (1525-1573). C’est lui qui, embrassant la Réforme dans les années 1559, fit du château une place huguenote. Mais l’homme n’était pas un calviniste très ardent. Il n’inquiétait guère le gouverneur de Bretagne, car il resta indéfectiblement fidèle à la dynastie des Valois. Il semble bien, de plus, qu’il retourna au catholicisme dès 1569.

     Jean VIII d’Acigné n’avait qu’une héritière, une fille appélée Judith, qui fit un mariage prestigieux avec le duc de Cossé-Brissac. Mais ce dernier avait besoin d’argent et mit en vente la vicomté. Claude du Chastel, qui venait d’épouser Charles Gouyon de la Moussaye, emprunta pour acquérir Tonquédec en 1573. Elle était nièce de Jean VIII d’Acigné et avait droit de préemption sur le domaine, selon une procédure dite « de retrait lignagier ». Le château repassait entre des mains protestantes.

    L’intérêt du couple pour la forteresse peut s’expliquer, entre autres, par une recherche de sécurité. Nous étions au lendemain de la Saint-Barthélemy. Les jeunes époux ont-ils habité le donjon ? Les Mémoires de Charles Gouyon de La Moussaye peuvent le laisser entendre : « Et n’avions lors maison que celle-là[1]… » Le même document indique que le couple entreprit des travaux pour restaurer et adapter la place.

    La forteresse resta propriété de la famille des La Moussaye jusqu’en 1636. Charles Gouyon, grand seigneur débonnaire, n’avait aucune intention de défier le roi ni de participer à des guerres de religion. Il préférait vivre aux côtés de son épouse et d’une famille devenue rapidement très nombreuse dans ses autres manoirs, en particulier celui du Val, près du Guildo, d’où il était possible de prendre très vite la mer vers Jersey.

    Quand la Bretagne fut à son tour ravagée par les conflits politico-religieux après 1589, Charles Gouyon, devenu veuf, fit allégeance au roi Henri IV qu’il connaissait depuis son enfance. Il mit Tonquédec à la disposition de la Couronne. Nous savons, par exemple, qu’il obtint en octobre 1592 des États de Bretagne une allocation de 2262 livres pour l’entretien d’une garnison royale dans le casernement de la forteresse : 25 cavaliers cuirassés et 45 arquebusiers à cheval. C’était une petite armée, si l’on compte les fantassins qui les accompagnaient.

    La place forte de Tonquédec, avec celle de Vitré et de Brest, représentait un atout stratégique de premier plan pour le roi face au gouverneur de Bretagne, Mercoeur, qui s’était insurgé contre lui. Jamais ses murailles ne furent aussi indispensables dans un Trégor livré à la guerre et au pillage. Le huguenot Charles Gouyon et ses fils donnèrent ainsi asile en 1593-1594 à Guillaume du Halgouët, le nouvel évêque de Tréguier.

    Il n’y a pas lieu de détailler ici les sièges qu’affronta victorieusement Tonquédec, ni les batailles où le garnison du château se trouva impliquée. Retenons que la forteresse, qui semblait être déjà dépassée sur le plan de l’art des fortifications, était en réalité quasi imprenable. Les troupes en campagne lors des guerres de la Ligue en Bretagne manquaient singulièrement de pièces d’artillerie qui pouvaient sérieusement menacer les hautes tours. Les chemins boueux n’étaient pas non plus propices au déplacement des canons.

    La paix venue en 1598 avec l’Édit de Nantes, la forteresse resta sans garnison mais garda ses créneaux qui ne semblaient pas menacer la ville proche de Lannion.

(à suivre)

Jean-Yves Carluer

[1] Charles Gouyon de La Moussaye, Brief discours…, p. 122.