Claude du Chastel 2

2) Courtiser une héritière…

    Le « coup de foudre » initial du jeune Charles Gouyon de La Moussaye n’était peut-être pas partagé. Les deux jeunes gens, surtout Claude, étaient de toute façon à peine sortis de l’enfance et de multiples obstacles empêchaient tout projet d’union. Amaury Gouyon décida qu’il était urgent de passer à autre chose et fit faire à son fils une sorte de Grand Tour européen comme cela se pratiquait dans la bonne aristocratie.

    Le jeune Charles partit donc pour l’Italie puis séjourna à la Cour de France pendant plus d’un an. Le contexte évolua quelque peu durant tout ce temps. Une brouille survint fort opportunément entre François d’Acigné et son coreligionnaire Gabriel de Montgomery, mettant fin aux projets d’un mariage de Claude au sein de cette famille. Le baron Amaury de La Moussaye en profita pour annoncer officiellement aux Acigné la candidature de son fils à la main de la demoiselle. Charles commença à faire des visites à Combourg.

    Mais rien n’était gagné pour Charles Gouyon, formellement catholique. Claude ne voulait en aucun cas épouser un « papiste ». Ce point de vue était partagé par l’essentiel de la famille protestante de Claude du Chastel, en particulier sa tante, Anne de Montbourcher, l’épouse de François d’Acigné. Il y avait quelques exceptions, comme Julien du Boays de Mesneuf qui sentait bien l’inclination croissante de sa petite « pomme », comme il l’appelait, pour son lointain cousin.

    Les catholiques intransigeants du clan des Du Chastel, surtout les bas-bretons de Trémazan et de Kérouzéré, étaient de leur côté sérieusement inquiets de voir le jeune Charles Gouyon manifester de plus en plus de signes de calvinisme au fur et à mesure qu’il prenait le chemin de Combourg. Quand les huguenots du royaume décidèrent d’une prise d’armes en 1568, Charles Gouyon alla même jusqu’à vouloir s’enrôler dans l’armée de d’Andelot ! Pour le coup, Amaury Gouyon se mit en colère contre son fils et lui coupa les vivres : fréquenter les prêches, cela passait encore, s’engager dans l’aventure militaire réformée, c’était de la folie !

Gagner son cœur…

    Devant la tournure que prenaient les événements, François d’Acigné, le tuteur de Claude, proposa au jeune Charles une épreuve bien romantique pour l’époque. C’était le conseil assez inattendu d’un rude soldat huguenot qui partait pour l’armée à un jeune homme amoureux : »Il me dit, raconte Charles Gouyon, que c’estait elle qu’il fallait gagner, puis s’adresser aux parents… Si elle m’aimait, je le trouverais bien affectionné à me faire plaisir ; d’autant qu’il estait résolu de ne marier jamais sa niepce, laquelle il aimait comme sa fille, qu’à celuy qu’elle aurait agréable[1]. »

    Charles Gouyon n’en voulut pas à son père de l’avoir maintenu au pays. Son ordre lui avait sauvé la vie, car il eut probablement fait partie des victimes de la bataille de Jarnac comme son cousin Christophe de Chateaubriand et son oncle François d’Acigné. La mort du tuteur de Claude la fit passer sous la responsabilité d’un autre de ses oncles, Jean d’Acigné. Ce dernier, baron de Châteaugiron, devenait de plus en plus tiède dans une foi huguenote qu’il était en passe d’abandonner. Il n’y avait donc plus d’obstacle du côté des Acigné.

Les ruines actuelles du château de Coëtquen en Saint-Hélen (Côtes-d'Armor). Cette imposante forteresse était la propriété d'un oncle par alliance de Claude du Chastel, de religion catholique. Les jeunes époux Charles et Claude Gouyon s'y réfugièrent au lendemain de la Saint-Barthélemy, sous la sauvegarde de Jean de Coëtquen.

Les ruines actuelles du château de Coëtquen en Saint-Hélen (Côtes-d’Armor). Cette imposante forteresse était la propriété d’un oncle par alliance de Claude du Chastel, de religion catholique. Les jeunes époux Charles et Claude Gouyon s’y réfugièrent au lendemain de la Saint-Barthélemy, sous la sauvegarde de Jean de Coëtquen. (Cliché Wiki Commons).

    Restait, apparemment, le plus dur : convaincre Claude. La demoiselle s’obstinait à l’appeler « monsieur mon cousin », sans lui laisser plus d’espoir. Elle ne lui concédait que « quelques petits souri[re]s« … Mais là aussi la résistance fléchissait. Charles apprit en confidence par une tierce personne, la propre sœur de Claude, que la demoiselle s’intéressait beaucoup à lui. Un jour que les dames allaient de Combourg au château de Coëtquen, où résidait une sœur des Acigné, le chariot qui les portait se rompit et force fut de les faire monter en croupe derrière les gentilshommes à cheval ; elles trouvèrent sans peine un cavalier, à l’exception de Claude que personne ne voulut recevoir, par prévenance pour Charles dont le jeu était transparent pour la compagnie. Il ne resta donc plus que lui : « Je la suppliais de me faire cette faveur », raconte-t-il. « A la fin, elle demeurait seule, toutes les autres sen allant, elle est contrainte de se mettre en trousse sur mon cheval et par ce moyen me bailler l’une de ses tant belles mains, laquelle fut receue avec tant de plaisir et de contentement que jamais je n’en avais receu un pareil. »

    Le dialogue ainsi entamé, Charles Gouyon intensifia sa cour romantique à Claude. La demoiselle lui fit savoir bientôt que s’il devenait protestant, « elle voudrait bien l’agréer comme mary et parfaict amy« . Le jeune homme raconta plus tard ces jours d’espoir et de bonheur au château de Miniac-Morvan, résidence de la grand-mère de Claude ou vivait désormais sa promise : « J’estais à la porte de sa chambre avant qu’elle fust esveillée ; lorsqu’elle se levait on me faisait rentrer ; ou je luy tenais son miroir, ou la servais à tenir ses cheveux, luy dérobant tantost l’une de ses mains, tantost l’autre, pour les baiser autant de fois qu’après plusieurs prières elle me le permettait. Le plus souvent, je lisais haut, comme elle s’habillait, ou dans la Bible ou dans autres bons et saints livres, car elle n’en voulait nuls autres. Après qu’elle avait faict les prières et lavé ses tant belles mains et sa bouche tant aimable, elle sortait… Je la tenais toujours soubs le bras. Sy elle prenait son ouvrage, je luy aidais à le tenir, car jamais elle n’estait oiseuse. Par ce moyen, je ne la perdais jamais de veue, fors l’heure du repos… S’il fallait pour mes affaires m’esloigner de sa présence pour quelques temps, je demeurais tout pensif, saturnien, chagrin, ennuyeux et difficile à servir… Le plus de mon exercice estait dans les rochers, le long de la mer, à philosopher, à jouer du luth ou lire…« 

    Décidément, le romantisme n’avait pas attendu François-René pour fleurir dans le lignage des Chateaubriand-Acigné-Gouyon !

( à suivre)

Jean-Yves Carluer

[1] Toutes les citations sont extraites des Mémoires de Charles Gouyon de la Moussaye, publiés par G. Vallée et P. Parfouru, Paris, 1901. Nous avons juste un peu modernisé l’écriture en conjuguant les imparfaits en « ai » et non en « oi ».