Charles Vermeil à Rennes -2

Rennes : une Église en transition…

Le type de ministère du pasteur Vermeil à Rennes a été sans doute assez adapté aux circonstances de l’époque. Nous sommes sous le Second Empire, et Napoléon III, sans être hostile sur le fond, entend donner des gages à ses électeurs catholiques de l’ouest et refuse toute expansion protestante dans cette région.

D’après les sources dont nous disposons, le pasteur réformé, pourtant soutenu par la Société Centrale Protestante d’Évangélisation, avait abandonné le prosélytisme qui avait été de mise au temps de ses prédécesseurs qui dépendaient de la Société Évangélique de France. Nous avons eu l’occasion d’écrire que ce changement de stratégie était une forme d’adaptation aux contraintes du temps. Il n’était plus question, provisoirement, d’irriter le clergé catholique du lieu, du moins tant que le protestantisme n’avait pas de statut officiel. Les Rennais ne voulaient pas revivre les difficultés qu’ont alors connues les Réformés à Alençon, par exemple.

Ceci dit, l’augmentation constante des effectifs protestants en Ille-et-Vilaine et les déplacements nécessaires pour les joindre avaient largement de quoi occuper un pasteur à Rennes.

N’oublions pas non plus, en ce temps de la loi Falloux, qu’une des charges pastorales était de veiller à assurer l’alphabétisation des jeunes protestants. Les congrégations religieuses multipliaient les tentatives pour arracher les enfants à la foi des parents protestants.

Une des premières tâches d’Antoine Vermeil a été de relancer l’école protestante de Rennes, en particulier pour les filles. : Le pasteur écrit en 1861 : « Un des besoins urgents de cette Église était le rétablissement de l’école des filles. Quinze enfants en état de fréquenter la classe attendaient; le digne pasteur de Rennes multipliait ses efforts et ses recherches. Après plusieurs mois d’intervalle, M. Vermeil a pu confier à une nouvelle institutrice la tâche de restaurer les ruines de l’école; elle a commencé ses fonctions le 2 octobre, et a réuni vingt filles. L’ouverture a été solennisée par un service religieux, ou assistaient les parents avec leurs enfants. L’école du dimanche a reçu une nouvelle impulsion de la venue de l’institutrice. L’arrivée de quelques nouveaux frères et sœurs compensent le départ de quelques autres. Le lycée compte douze élèves protestants ; somme toute, l’oeuvre se soutient et s’affermit1 ».

Elisa Jenkins

Elisa Jenkins. Portrait vers 1870. Elle était la fille du pasteur John Jenkins, de Morlaix. D’abord institutrice à Rennes et à Saint-Malo, elle devint responsable de l’école protestante du Diben, en Plougasnou.

Cette première institutrice semble avoir été Mme Vermeil elle-même, qui avait déjà été enseignante paroissiale en Ardèche. L’école de filles ferma lorsque l’épouse du pasteur décéda en 1859, mais rouvrit à la rentrée de 1860 avec de nouveaux enseignants. A noter que la responsable des filles en 1869 était Elisa Jenkins, la fille du pasteur baptiste de Morlaix.

Nous l’avons vu, les garçons étaient confiés à l’instituteur, Alphonse Martin. Les meilleurs pouvaient ensuite être admis au lycée de Rennes, qui n’était pas confessionnel. Restait, pour les grands, la perspective d’une pension protestante. Un exemplaire de budget de l’Église de Rennes nous apprend qu’en 1861, 10 élèves suivaient une scolarité à la Pension Keller, rue de Chevreuse, à Paris. Il semble bien que l’institutrice protestante de Rennes accueillait également en pension des filles issues parfois des familles britanniques séjournant dans la région. Sur 16 pensionnaires rennaises en 1864, 12 sont présentées comme anglaises. La préfecture de l’Ille-et-Vilaine apparaît donc comme une petite métropole protestante locale.

Tel est justement l’argumentaire que veut développer le pasteur de Rennes, relayé par le président du consistoire de Brest, auprès de l’administration.

L’état nominatif des familles protestantes établi par Charles Vermeil le 4 novembre 1863 mentionne pour la seule ville de Rennes 62 familles regroupant 180 personnes auxquelles s’ajoute une importante « population flottante » de 150 âmes, composée essentiellement de militaires protestants de la garnison. S’y ajoutent les Luthéro-Réformés de Saint-Malo et Dinan, au nombre d’une centaine de personnes. Ce nombre ne comprend pas les résidents britanniques de la côte et de Dinan, considérés comme anglicans, qui disposaient de leurs propres structures, au nombre d’environ 500 personnes. Il y avait donc matière à justifier la création d’un poste pastoral concordataire en Ille-et-Vilaine, ce que reconnaît le préfet lui-même en 1864 : « la demande du consistoire de Brest paraît justifiée, mais il est certain que la ville de Rennes n’acceptera jamais les obligations que lui imposerait le décret du 5 mai 1806 et la loi du 18 juillet 18372 ». C’est là que le bât blesse, en effet. La municipalité de Rennes est très opposée au protestantisme et se refuse ostensiblement à participer aux frais de logement pastoral et de l’entretien de son culte. Elle entraîne sur sa position les autres cités des environs où se rend pourtant chaque mois le pasteur pour assurer des services religieux aux groupes disséminés, notamment à Dinan et dans la région de Saint-Malo.

Malgré tout, les négociations avec l’administration semblent suffisamment avancées pour que Charles Vermeil quitte rassuré la ville de Rennes en septembre 1870 et accepte la charge de la paroisse de Saint-Ouen dans l’île de Jersey.

Une nouvelle ère commence pour les protestants de Rennes.

   Jean- Yves Carluer

1Le Journal de l’Évangélisation, 1861, p. **

2Correspondance du préfet, Archives nationales F19 10496.