Anne Gouyon de Matignon

Une châtelaine d’origine bretonne à la cour de Navarre.

    Nous connaissons la foi profonde d’Anne Gouyon de Matignon, épouse du seigneur de Maridor, au travers du testament qu’elle rédigea dans son grand âge, alors que s’achevait le tragique XVIe siècle, le 24 mai 1599 :

    « Au nom du père et du fils et du Saint-Esprit, je, Anne de Matignon, vefve de feu messire Ollivier de Maridor, vivant chevallier, sieur de Vaux, recognoissant la fragillité de ceste vie qui nous est seullement prestée pour un temps, que Dieu coupe et tranche à sa vollonté à toutes heures et à tous moments, ay faict mon présent testament escript et signé de ma main ; par lequel, avant toutes choses, je rends grâces à mon Dieu mon créateur de ce qu’il luy a pleu me donner la cognoissance de sa sainte vérité et m’assister de sa divine protection contre tant de misères desquelles j’ai esté assaillie depuis que je suis en ce monde. Je le prie au nom de son fils bien aymé notre Seigneur Jésus-Christ, de me pardonner mes péchés et mes offenses et m’assister toujours de son Saint-Esprit et de recepvoir mon âme entre ses mains pour lui donner la vie éternelle lorsqu’il luy plaira la retirer de ceste vie terrestre.
Pour ce qui concerne ma sépulture, je veux quelle soit faicte sans cérémonie quelconque et avec la simplicité observée par ceux de la religion de laquelle Dieu par sa divine bonté m’a faict la grâce de faire profession
« .

    Les historiens protestants ont salué la constance et la fermeté de la foi d’Anne Gouyon de Matignon[1]. On a quelque idée de la façon dont la Réforme avait pénétré jusqu’à elle.

   Revenons deux générations en arrière…

   La famille des Silly, seigneurs de Lonray, était entrée dès la fin des années 1530 dans l’entourage de Marguerite de Navarre, soeur du roi François Ier, dont on sait qu’elle protégea les premiers luthériens. Aimée Motier de la Fayette, épouse de François de Silly, avait été dame d’honneur de Marguerite de Navarre et gouvernante de sa fille, la princesse Jeanne d’Albret, future reine de Béarn. Rien de plus logique que sa propre fille, Anne de Silly devienne à son tour une dame d’honneur de la princesse qui avait grandi avec elle.

La forteresse de la Roche-Gouyon, dite "Fort-la-Latte"

La forteresse de la Roche-Gouyon, dite « Fort-la-Latte »

    En 1527 Anne de Silly épousait un grand seigneur, résidant entre Maine et Normandie, mais issu d’une des plus prestigieuses maisons bretonnes, Jacques 1er Gouyon de Matignon (1497-1537), baron de Thorigny. Les ancêtres Gouyon sont les constructeurs immémoriaux de la célèbre forteresse de la Roche-Gouyon, autrement dit le Fort-la-Latte, non loin du Cap Fréhel. Leur descendance se trouvaient dispersée au XVIe siècle entre plusieurs branches. L’une d’entre elles, les Gouyon de La Moussaye, deviendra pour un siècle un solide appui huguenot après l’union de Charles Gouyon et de Claude du Chastel. Les Gouyon de Matignon auraient pu tenir le même rôle.

    Deux des enfants du couple Gouyon-Silly eurent un destin national. L’aîné surtout, Jacques II de Matignon (1525-1598), zélé huguenot dans sa jeunesse, passa ensuite au catholicisme « modéré », fit carrière dans le camp des « politiques », et devint maréchal de France et gouverneur de Bordeaux. C’est lui qui tint l’épée du connétable lors du sacre du roi Henri IV dont il était proche. Sa soeur Anne est celle dont nous parlons ici.

 Une châtelaine brito-normande

     Elle avait épousé en mars 1552 Olivier de Maridor, sieur de Vault, de la Freslonière et de Château-Sénéchal, officier tranchant de Jeanne d’Albret, reine de Navarre, qui avait d’importants intérêts dans le Maine. D’après Léo Mouton, le couple résidait habituellement au château de Gaillon.

    Deux des trois filles d’Anne Gouyon de Matignon et Olivier de Maridor nous sont connues. La tradition nous rapporte qu’elles étaient « merveilleusement belles ». La première, appelée Anne comme sa mère, est la malencontreuse héroïne d’un drame conjugal suivie d’un assassinat, que l’écrivain Alexandre Dumas a conté de façon romancée dans son ouvrage La Dame de Monsoreau. Sa cadette, Philippe (ou Philippine) de Maridor, fidèle huguenote, épousa un gentilhomme bas-breton, Yves du Liscouet, futur maréchal de camp du roi Henri IV. Crevain l’estimait comme une de ces « femmes chrétiennes dont la mémoire est une bénédiction et qui se sont rendues illustres pour piété et persévérance« . La piété de l’aïeule survécut dans sa fille et ses descendants, puisque leur château du Bois-la-Roche, en Coadout près de Guingamp, abrita au XVIIe siècle et jusqu’à la Révocation le prêche réformé le plus occidental du royaume et même d’Europe occidentale. Nous aurons l’occasion d’en reparler.

  Jean-Yves Carluer

  [1] Léo Mouton (Bibliothécaire à la Bibliothèque nationale), « Le Testament d’Anne de Matignon », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, 1910, p. 417-424. Ce document était alors conservé dans les archives privées de la famille de Courcival et de Maridor. L’orthographe en a été légèrement remaniée pour plus de lisibilité.

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