L’affaire de Saint-Quay-Perros

     Saint-Quay-Perros est une commune rurale toute proche de la mer, au fond de la baie de Perros-Guirec. Elle fait aujourd’hui partie de cette agglomération. En 1890, la paroisse a entamé un mouvement de conversion collective au protestantisme selon des modalités très classiques au XIXe siècle, bien analysées depuis par le sociologue Jean Baubérot[1].

    Tout commence par un conflit local très dur avec un curé considéré comme réactionnaire et intransigeant. Suit une négociation avec l’évêque pour le déplacer. Si celui-ci refuse, reste le chantage : faire appel au pasteur protestant, l’accueillir sur place et l’annoncer hautement. A ce stade, l’évêché se soumet dans la plupart des cas, tout en essayant de sauver plus ou moins la face. Mais, en certaines occasions, la négociation traîne de trop ou échoue. De remarquables évangélistes, comme Napoléon Roussel à Villefavard ou à Tarsac, réussissent alors à convertir réellement au protestantisme une partie la population et un temple s’élève peu après dans la commune.

 

L'église de Saint-Quay-Perros

L’église de Saint-Quay-Perros

   Dans le cas de Saint-Quay-Perros, les conditions étaient réunies pour un succès protestant, sur fond de « guerre scolaire ». Le siège épiscopal de Saint-Brieuc accueillait un nouvel évêque encore peu au fait de son diocèse, surtout de la partie bretonnante, Mgr Fallières. Le pasteur contacté était le bouillant Guillaume Le Coat, qui mit sur l’affaire ses meilleurs collaborateurs, sortit la voiture biblique toute neuve et vida des caisses de Bibles, de tracts, d’almanachs et de gwerziou.

    L’évêque céda et la paroisse de Saint-Quay-Perros resta dans le sein de l’Église catholique. Mais plusieurs personnes continuèrent à lire la Bible et à accueillir, année après année, les colporteurs évangéliques. Elles suivirent même les réunions protestantes dans les Îles de la Manche à l’occasion de la saison des pommes de terres, activité complémentaire habituelle des agriculteurs de la région.

     Vingt-cinq plus tard, le pasteur méthodiste Jean Scarabin, fils spirituel de Guillaume Le Coat, rassemblait à nouveau des auditoires à Saint-Quay et dans la région. Un joli temple a été finalement construit à Perros-Guirrec. Il y a toujours une communauté protestante sur place…

     Nous présentons ici quelques documents relatifs à l’affaire de Saint-Quay-Perros en 1890, sous forme d’extraits de journaux, soit « républicains » comme Le Lannionnais, soit protestants, comme Le Trémélois. Étant donné la masse documentaire et son intérêt, elle fera l’objet de deux articles.

   Jean-Yves Carluer  

 Le Lannionnais du 23 mars 1890 :

UNE COMMUNE EN RÉVOLUTION

       Nous recevons la lettre suivante:

« St-Quay-Perros, le 20 mars 1890,

« Monsieur le Rédacteur, notre commune est en révolution.

« Le 27 janvier dernier, le recteur, M. Le Roux, mourait, et la semaine suivante on lui nomma un successeur. Les marguilliers, connaissant le nouveau curé qu’on leur envoyait, refusèrent de lui signer son procès-verbal d’installation et lui dirent franchement que toute la commune le recevrait à contrecœur.

« On signa une pétition qu’on envoya à Mgr l’Évêque et il l’a reçue le lendemain de son arrivée à Saint-Brieuc.

« L’a-t-il lue ?

« On a répondu qu’il fallait se hâter de recevoir le nouveau recteur et lui signer au plus vite son procès-verbal d’installation.

« Les marguillers n’ont rien fait et la commune est, depuis le 27 janvier, sans prêtre.

« Dimanche, c’était le petit pardon de St-Quay ; un professeur du collège de Tréguier, qui devait venir y chanter la messe, a reçu contre-ordre et le pardon a été célébré sans messe ni vêpres. A 10 heures, tous les fidèles sont entrés à l’église. On a dit un rosaire, puis chacun s’est retiré en bon ordre ; à deux heures on a fait de même. Tous les habitants sont décidés à se passer de prêtre plutôt que d’accepter leur nouveau recteur.

« Ils se rendront tous les dimanches à l’église et feront leurs dévotions ; l’année prochaine, si on leur accorde un recteur, ils feront deux communions pascales.

« Le curé dont ne veulent pas les habitants de St-Quay, est du reste bien connu. Il a quitté une précédente commune pour avoir fait chanter aux enfants de la communion un cantique qui avait pour refrain :

 Dous ar soolio moh a mezus.

Ont divoallit ô Jesus !

 Des écoles de honte et de cochons,

Gardez-nous ô Jésus !

 « Le parquet de Lannion s’empara de cette affaire et il fut, s’il nous en souvient bien, condamné par-devant le tribunal de cette ville.

« Il y a, à St-Quay, des enfants qui n’ont pas été baptisés ; leur mère, il est vrai, leur a jeté un peu d’eau sur la tête, on prononçant les paroles sacramentelles ; faute de prêtre on fait la besogne soi-même.

« Il y a quelques malades et ils pourraient mourir sans les secours de la religion.

« Nous nous demandons à Saint-Quay combien de temps cette situation va durer; et déjà, plusieurs habitants de notre commune parlent de faire venir un ministre protestant.

« Agréez, etc. X…

Le Lannionnais du 30 mars 1890 :

     On nous écrit de Saint-Quay-Perros :

« Nous sommes toujours dans la même situation.

« Le Conseil municipal et la fabrique, représentants des vœux de la population, sont fermement résolus à ne pas accepter le recteur qu’on a voulu leur imposer.

« Dimanche, ce dernier est venu, à 10 heures, dire une messe basse dans l’église. Depuis ce moment, le tabernacle est ouvert et vide et la lampe qui brûlait devant l’autel a été éteinte.

« Deux femmes de la commune, qui sont venues, suivant l’usage, à l’église, pour se faire purifier, à l’occasion de leurs relevaillcs, ont été bien obligées de se purifier elles-mêmes par leurs propres prières.

« Je vous tiendrai au courant de ce qui pourra se passer ici. »

Le Lannionnais du 13 avril 1890 :

      A titre de renseignement, nous devons tenir nos lecteurs au courant de ce qui se passe à St-Quay-Perros, dont les habitants, ainsi que nous l’avons annoncé, ne veulent pas accepter le nouveau recteur qui leur a été octroyé.

     Voici les nouveaux détails qui nous sont adressés de cette commune :

« La situation ne s’est en rien modifiée ici. Le dimanche de Pâques, comme les précédents, il n’y a eu d’autre culte dans l’église que les prières des habitants qui s’y étaient réunis.

« On savait que le surlendemain, le ministre protestant de Trémel, M. le pasteur Lecoat, devait venir.

« Aussi, énorme était mardi l’affluence, sur la place de l’église, tant des habitants de St-Quay, que des personnes accourues en grand nombre des communes voisines.

« Le pasteur, monté sur les marches de sa voiture biblique, a expliqué pendant plus d’une heure et demie, au milieu, je dois le dire, d’une grande attention, ce que contenaient les livres protestants qu’il offrait aux assistants.

« Malgré un vent très vif et un froid intense, la foule est restée compacte.

« Dans l’après-midi, M. le pasteur Lecoat a de nouveau rouvert sa voiture et a renouvelé ses explications.

« L’affluence était encore plus grande que dans la matinée. Aucune manifestation d’improbation ne s’est produite et le calme le plus parfait et le plus attentif a marqué cette réunion.

« On m’assure que lorsque le pasteur de Trémel a quitté le soir St-Quay, sa voiture biblique était vide. Tous ses livres avaient été vendus ou distribués. »

 (A suivre…)

 [1] Jean Baubérot, « Conversions collectives au protestantisme et religion populaire en France au XIXe siècle, Actes du colloque sur la Religion populaire (Paris 1977), CNRS, 1979.

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