Une Église longtemps ignorée…
En 1619, une Église protestante bretonne, jusqu’alors inconnue, apparaît sur la liste établie lors du synode national d’Alès, sous le titre d’Église réformée de Tonquédec et Lantrigues (sic). Si la localisation Tonquédec ne souffre aucune ambiguïté, celle de Lantrigues pourrait être plus mystérieuse, si ce n’est qu’il s’agit de la graphie bretonnante de Tréguier, Lan Tréguer. L’Église avait pour pasteur le sieur De la Delaie, là encore une déformation du nom De la Haye[1]. Tonquédec était donc en 1619 le siège d’une Église protestante dont la compétence s’étendait au Trégor et sans doute même au-delà, jusqu’aux diocèses de Léon et Quimper, privés de culte huguenot public par les articles dits secrets de l’Édit de Nantes.
La naissance de cette communauté calviniste est probablement le résultat d’une stratégie élaborée par Amaury II, le fils aîné de Charles Gouyon et Claude du Chastel. En confiant la vicomté de Tonquédec en viager à son frère cadet Claude (1587-1633), il faisait de ce dernier un seigneur haut-justicier résident, ce qui rendait juridiquement inattaquable un exercice calviniste dans la place. Claude de La Moussaye put ajouter à son titre de seigneur de Touraude celui de vicomte de Tonquédec, avec l’accord de son aîné.
Le titre VII de l’Édit de Nantes était formel : « Et encore [en cas] que le droit de justice ou plein fief de haubert soit controversé, néanmoins l’exercice de ladite religion y pourra être fait, pourvu que les dessusdits soient en possession actuelle de ladite haute justice, encore que notre procureur général soit partie…« .
Où avaient lieu exactement les prêches protestants ? Nous ne le savons pas. Ce peut être aussi bien le château lui-même que l’auditoire des vicomtes de Tonquédec ou toute autre halle du domaine. Dans tous les cas, la ville de Tréguier et ses abords étaient interdits, étant donné la proximité du siège épiscopal.
On peut penser que le pasteur de Tonquédec desservait également le prêche du château de Coadout, où la famille du Liscouet tenait ferme pour la Réforme, ainsi que d’autres maisons nobles. Remarquons que quelques gentilshommes de la région comme les Kergariou étaient ouvertement protestants. Il est probable que ces derniers aient demandé au vicomte de Tonquédec l’établissement d’une Église en récompense de leur action pour reprendre la forteresse en 1615.
L’Église protestante de Tréguier-Tonquédec s’est maintenue une vingtaine d’années, sous la direction d’un même pasteur, Louis Prichel, seigneur de La Haye, dont nous ne savons pratiquement rien.
Les actes du synode national de Castres attestent qu’il desservait toujours Tréguier en 1626[2]. Dix ans plus tard, au Synode national d’Alençon, les choses avaient évolué de façon défavorable. Si l’Église de Tonquédec-Tréguier existait toujours formellement, elle était mentionnée sans pasteur. Toutefois Louis Prichel était toujours présent sur la liste des ministres du culte breton, mais sans Église attitrée.
Un événement essentiel a précipité le déclin de l’exercice protestant dans le Trégor. Amaury II de La Moussaye décéda en 1624. Le viager de son frère Claude s’interrompit à sa mort en 1633. La branche aînée, représentée par Amaury III, récupéra directement le domaine.
Le nouveau marquis de La Moussaye vivait une remarquable ascension sociale. Après une carrière militaire remarquée, il avait pu épouser la très huguenote Henriette de La Tour d’Auvergne, fille du duc de Bouillon, prince régnant à Sedan. Il était devenu le beau-frère du célèbre Turenne et du duc de la Trémoille.
Lorsque ce dernier mit en vente en 1535 le vaste domaine de Quintin, Amaury III décida de l’acheter, malgré l’opposition de la noblesse catholique des environs. Cela supposait également se défaire de quelques-uns de ses autres domaines pour réunir la somme nécessaire. Voilà pourquoi le marquis de La Moussaye vendit la vicomté de Tonquédec le 16 décembre 1636 à René de Quengo, comte de Rochay. Le parti catholique triomphait : les Quengo se situaient au premier rang de ses soutiens. On l’a encore mesuré récemment quand les restes de Louise de Quengo ont été extraits en 2014 du couvent des Jacobins de Rennes.
La vente de la vicomté condamnait effectivement l’exercice protestant dans le Trégor. Mais les La Moussaye n’avaient pas abandonné les Réformés de Basse-Bretagne. Le marquis Amaury III fonda peu après, en 1643, une nouvelle Église calviniste dans son marquisat de Quintin.
Le siège de l’exercice protestant avait été transféré de Tonquédec à Quintin, Église réformée qui put se maintenir jusqu’à la veille de la Révocation de l’Édit de Nantes.
[1] Jean Aymon, Tous les Synodes nationaux des Églises réformées de France, La Haye, 1710, Volume 2, p. 222.
[2] Idem, Volume 2, p. 420 : « Louis Prichel, seigneur de La Haye, est à Tréguier« .