La province synodale protestante de Bretagne n’était pas une île isolée du reste du royaume de France. Il y avait interpénétration, sur ses marches, avec les communautés huguenotes des régions voisines : Au sud, Vieillevigne était au contact des Églises poitevines, comme Montaigu ou Mouchamps. A l’est, les huguenots bretons fréquentaient volontiers Angers et surtout Laval, qui partageait son seigneur avec Vitré. Les Vitréens, d’ailleurs étaient en symbiose avec la communauté de Terchant-La Gravelle. Cette Église du Maine était toute proche de la frontière et devenait un précieux lieu d’exercice quand le culte était interdit dans leur ville. Plus au nord, l’Église du Châtellier accueillait volontiers les Réformés normands.
Pontorson est l’exemple achevé de cette interpénétration provinciale. C’était en 1561 une petite cité, place forte du puissant seigneur Normand Gabriel I de Montgomery. Située sur la rive orientale du Couesnon, sur la frontière même de la Bretagne, elle se trouvait non loin de la mer, face au Mont-Saint-Michel. Le comte de Montgomery avait marié une de ses filles, Charlotte, à Christophe de Chateaubriand, le protecteur des huguenots de Saint-Malo. Un même pasteur, Mahot ou Mahaut, selon les graphies, se partageait entre les deux communautés. La situation de ces protestants était délicate. Ils vivaient dans une zone stratégique face aux Îles anglo-normandes et leurs protecteurs féodaux s’exposaient lourdement dans les combats des guerres de religion. Tant Christophe de Chateaubriand que Gabriel de Montgomery y laissèrent d’ailleurs la vie, le premier en 1569, le second en 1574.
En revanche, la configuration frontalière offrait quelques avantages, à une époque où l’intensité des troubles variaient fortement d’une province et même d’un diocèse à l’autre. La famille de Gabriel de Montgomery se réfugia par moments en Bretagne, en particulier lors des guerres de religion qui ravagèrent la Normandie. Inversement, Pontorson se révéla un havre pour les huguenots bretons isolés de l’évêché de Dol.
L’Église calviniste locale se rassemblait dans un bâtiment de la cité, dont on ne sait s’il était à l’origine une grange ou un lieu de culte réaffecté. C’est le fameux prêche de Pontorson, probablement une ancienne grange féodale ou prieuré réaménagé, qui fait exceptionnel, subsiste encore aujourd’hui. Il est inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques et est entretenu par une dynamique association locale. S’il a échappé aux destructions systématiques des temples consécutives à l’abolition de l’Édit de Nantes, c’est que le bâtiment n’était plus affecté au culte réformé depuis le milieu des années 1620. Gabriel II de Montgomery avait dû vendre la seigneurie au roi Louis XIII et l’exercice protestant avait été transféré non loin de là à Cormeray. Le registre des baptêmes ayant été, fort heureusement, conservé, nous avons quelques indications sur les protestants bretons qui ont fréquenté l’Église de Pontorson-Cormeray. 44 patronymes venus de ce côté du Couesnon y sont mentionnés.
Nous y trouvons des visiteurs occasionnels. Quelques notables vitréens figurent, par exemple, comme parrains lors de baptêmes. Mais nous trouvons surtout des voisins résidant dans les paroisses proches de l’évêché de Dol : Avant 1623, ils viennent de Saint-Georges-de Gréhaigne, de Baguer-Pican ou même de Cancale. Après cette date, on les trouve à Vieux-Viel ou Pleine-Fougères et surtout à Sougeal, sur la rive gauche du Couesnon, où le hameau de l’Oseraie, tout proche du fleuve, accueille un isolat protestant qui s’est constitué dans les années 1660. La famille De Cheux et leurs proches s’y étaient réfugiés depuis la Normandie sur un site propice à la discrétion. Le marais de Sougeal accueilla plus tard des exercices clandestins après la Révocation de l’Édit de Nantes.
Pendant toute la période consignée dans le registre (1559-1669), d’autres Bretons sont allés au temple de Pontorson-Cormeray pour des mariages ou des baptêmes en l’absence de leurs pasteurs locaux. C’est ainsi que l’on y trouve des familles de Saint-Servan, de Plouër ou de Plenée.
Le temple de Pontorson, témoin muet de la foi réformée dans les pays du Couesnon, s’ouvre de nouveau aux visiteurs, à l’occasion d’expositions ou lors des Journées du Partrimoine. Une exposition biblique s’y tient fin septembre 2016.