Les déceptions du pasteur Berthe (1885-1888)
L’avenir semblait sourire à Jacques Elie Berthe, qui terminait à Brest une riche carrière pastorale au milieu de sa belle-famille. Nous l’avons suivi à Luneray puis Troyes. En ce printemps 1885, il se réjouissait d’avoir vu une trentaine de néophytes rejoindre à Pâques le reste de son Église réformée.
Pourtant, coup sur coup, deux pénibles affaires vont sérieusement compliquer son ministère à la pointe de Bretagne.
C’est d’abord un redoutable scandale parmi ses paroissiens qui vient ternir l’image de sa congrégation. Un membre important de son consistoire se révèle être un escroc !
Pourtant, jusque-là, le notaire Jean-Baptiste Bellamy, originaire de Bordeaux, apparaissait irréprochable. Il avait gravi tous les échelons de la notoriété depuis l’installation de sa famille à Brest, une trentaine d’années auparavant. Président de la chambre des notaires du Finistère, il avait été élu à la tête du Conseil Général du département. Il exerçait cette charge parallèlement à son mandat de maire de Brest et était au faîte des honneurs locaux.
Le scandale Bellamy
Coup de tonnerre, il est inculpé le premier janvier 1884 de multiples malversations, débouchant un an plus tard sur un procès d’assises qui fait les grands titres des journaux locaux. Acquitté une première fois, Jean-Baptiste Bellamy est finalement condamné en appel aux travaux forcés à perpétuité, peine qu’il ne subira pas car le prévenu venait fort opportunément de disparaître en direction de la Suisse ou de la Belgique…
On imagine le scandale à Brest et le discrédit jeté sur ses coreligionnaires. L’effort de témoignage et d’évangélisation que le pasteur avait engagé dans la ville est compromis pour longtemps. Le notaire véreux avait en outre ruiné un certain nombre de protestants de la ville qui lui avaient imprudemment confié leurs économies comme la veuve du pasteur Chabal. L’heure était aux querelles et aux récriminations…
Jacques Berthe n’était évidemment pas responsable de ces faits qui avaient été commis avant son arrivée dans la ville. Mais, dans un autre domaine, le pasteur avait sans doute un peu manqué de sagesse et de rigueur dans la présentation des beaux succès de l’évangélisation protestante brestoise des années 1880. La paroisse réformée avait été, effectivement, à l’origine de l’ouverture du local de Recouvrance en collaboration avec la Mission Populaire Mc-All. Mais pour l’oeuvre de Lambézellec, celle qui avait amené le plus de conversions, la situation était plus compliquée. Rappelons que son fondateur était le peintre protestant Louis Caradec, de confession baptiste. Il s’était rattaché, par défaut, à la paroisse réformée et s’y était impliqué au point de faire partie du consistoire. Louis Caradec avait commencé à organiser à son domicile des réunions d’évangélisation protestantes pour les classes populaires de la ville. On y chantait et prêchait en langue bretonne, que ni Jacques Berthe, ni ses prédécesseurs immédiats ne comprenaient.
Confusion à Brest Saint-Martin
Louis Caradec s’y était fait aider à l’occasion par de jeunes prédicateurs baptistes bretonnants, qui s’étaient convertis au travers du ministère du Gallois John Jenkins, en poste à Morlaix. Pendant les années 1872 à 1876, quand le gouvernement très conservateur du duc de Broglie avait pratiquement interdit tout colportage dans le pays, François Le Quéré, de Trémel, le futur évangéliste du Havre, s’était temporairement établi comme menuisier à Brest-Lambézellec, dans le même quartier Saint-Martin où avaient lieu les réunions de Louis Caradec. François Le Quéré était le beau-frère de Guillaume Le Coat, et c’est Louis Caradec qui était allé déclarer à la mairie de Brest la naissance du petit Guillaume Le Quéré, celui que l’on appellera beaucoup plus tard Tonton-Tom.
Louis Caradec loue en 1881 une salle que nous n’avons pas encore identifiée, mais qui est située au lieu-dit Messidou1. Le pasteur Berthe en est officiellement responsable en 1882 et 1883, avec le soutien de la Mission Populaire Evangélique dite Mc-All. Mais Louis Caradec fait de plus en plus appel aux prédicateurs baptistes de Trémel. Le poste est même également revendiqué par la Baptist Missionary Society dans son rapport annuel. Cela fait beaucoup de parrainages pour une salle qui faisait tout au plus 30 m² de surface ! Ce n’était un problème ni pour Jacques Berthe ni pour son ami Alfred Jenkins : Le pasteur de Morlaix, qui avait de nombreux amis dans une Église où il avait connu son épouse, se garda bien d’encourager les tendances centrifuges. Par contre, le jeune Guillaume Le Coat, son collègue de Trémel, de plus en plus lié à Louis Caradec, accepte en 1884 de présider non seulement des conférences évangéliques, mais aussi des réunions de prière à Brest2. Il estime sans doute que l’image de la paroisse réformée est trop écornée par l’affaire Bellamy pour servir de support à une évangélisation urbaine. C’est le début d’un processus de schisme, basé sur un particularisme beaucoup plus linguistique que théologique. Les 30 néophytes reçus à la Cène au temple réformé constituaient en fait le noyau de base de la future Église baptiste bretonnante de la rue de Navarin.
Les circonstances de la création de cette communauté brestoise amenèrent une mésentente durable entre Jacques Berthe et Guillaume Le Coat, tous les deux pasteurs de grande valeur, mais dont les visions ecclésiales étaient clairement divergentes.
1 Il avait sollicité la mairie en 1878 pour obtenir la jouissance d’une salle publique dans le quartier Saint-Martin, mais il était apparu que ce local appartenait au clergé catholique (Archives municipales de Brest, 3 P, correspondance des 3 et 14 août 1878).
2Le fait n’est sans doute pas étranger non plus à l’opposition que manifesta Berthe à Guillaume Le Coat lors de la crise de 1885 qui entraîna la rupture entre les Eglises baptistes bretonnes de Morlaix et Trémel.