La Ravardière -6

Retour en Bretagne et rêve d’Amérique…

Libéré par les Portugais après plusieurs années passées en captivité, Daniel de la Touche ne disparaît pas de l’histoire. Nous disposons de quelques informations sur la dernière décennie de sa vie. Notre breton d’adoption retrouve son épouse, son manoir de Cancale et son réseau d’amis. La situation politique de la France a, elle, bien évolué. Si L’Édit de Nantes a accordé quelques droits aux huguenots, il est loin d’avoir amené la concorde religieuse. Le jeune roi Louis XIII a annexé le Béarn. Bien des nobles protestants se sentent menacés et estiment avoir été trompés. Les provinces protestantes du midi commencent à s’agiter et à défier un pouvoir royal qui s’affirme de plus en plus nettement.

Les Rimains Cancale

A Cancale, non loin du manoir de Daniel de la Touche, les îles des Rimains. A l’horizon, de l’autre côté de la baie du Mont Saint-Michel, la côte du Cotentin où le sieur de la Ravardière avait possédé le château de Regnéville. Cliché Wiki commons)

Plusieurs choix se présentent devant l’ancien Lieutenant-Général en la terre d’Amérique. Il peut, l’âge venant, se contenter de jouir d’une paisible retraite sur ses terres. Il peut préparer une revanche au Brésil. Il peut enfin se joindre aux insurgés protestants du midi dirigés par Henri de Rohan, un autre breton, et son frère Soubise. Daniel de la Touche avait marié vers 1600 sa fille Anne à un gentilhomme huguenot, Alexandre de Galard de Brassac de Béarn, baron de Saint-Maurice, qui s’est engagé derrière « Monsieur de Rohan ».

Mais Daniel de la Touche n’entrera pas en conflit armé avec la cour. Il a fait le choix, dès les années 1590, de faire confiance à la monarchie. Il a pourtant reçu, au début de l’année 1621, de l’assemblée des Églises réformées réunies à La Rochelle, la commission de vice-amiral de la flotte protestante. Mais cette décision fut contestée par les bourgeois rochelais qui estiment, à juste titre que Daniel de La Touche est trop proche de la monarchie française.

Le sieur de La Ravardière vit donc l’existence d’un paisible gentilhomme protestant breton. Il a été élu ancien de l’Église réformée qui se réunit à Plouër sur Rance et qui rassemble les huguenots de la région. Il y rencontre des coreligionnaires maloins dont les activités sont tournées vers la mer comme Jean Delépine, originaire de Rouen et futur beau-père de Jean Thorin, venu du Havre. Tous les deux étaient également anciens du consistoire de Plouër. Elisabeth Delépine était la belle-sœur du pasteur d’alors, Louis Rondel1. Son manoir de Cancale est le siège d’un prêche protestant régulier.

Maranhao, toujours…

Mais Daniel de la Touche n’a pas abandonné ses rêves d’Amérique. Il active sans relâche un vaste réseau, à vrai dire assez hétéroclite, qui comprend aussi bien le vieux sage réformé Duplessis-Mornay2 que des grands financiers catholiques. Ce réseau peut, en cas de besoin, s’étendre à des intérêts étrangers. Le sieur de La Ravardière est en contact avec les Anglais et surtout les Hollandais, grande puissance navale émergente, qui ont le double avantage d’être protestants et ambitieux. On comprend mieux pourquoi les Portugais ont si longtemps retenu Daniel de La Touche à Lisbonne… L’objectif du Cancalais est de reprendre le projet brésilien, si possible sous les couleurs de la France, même s’il lui faut se faire violence sur le plan religieux. Dans une lettre très intéressante adressée à Duplessis-Mornay, La Ravardière s’était justifié de la collaboration qui lui avait été imposée en 1610 avec les missionnaires capucins, et qui s’était fort bien passée : « Ils sont résolus ne donner autre instruction aux sauvages que leur faire connaître Dieu et Jésus-Christ crucifié pour notre salut. S’ils en demeurent là, cela ne serait que bon3… ».

Daniel de la Touche réussit d’ailleurs à se faire nommer à nouveau en 1621 lieutenant-général à l’occasion d’une tension entre la France et les Habsbourg. La flotte qu’il avait préparée à La Rochelle est saisie par les révoltés protestants. Une partie est intégrée à la flotte du duc de Soubise qui combat devant Port-Louis (bataille de Blavet, 17 janvier 1625).

C’en est fini des rêves américaines de La Ravardière, qui ne peut que constater les derniers et vains efforts des Rochelais pour reprendre Maranhao, avec l’appui hollandais.

Daniel de La Touche est sollicité pour représenter la Bretagne au 2ème synode national de Charenton, en septembre 1631. Il ne semble pas toutefois y avoir participé. La meilleure hypothèse est que notre breton d’adoption, se faisant de plus en plus âgé, avait été retenu en ses logis par la fatigue ou la maladie. Il décède à un âge avancé à une date inconnue, sans doute entre 1631 et 1635.

Jean-Yves Carluer

1Registres de l’Église réformée du Havre, cités par Robert Richard et Denis Vatinel, « Le consistoire de l’Église réformée du Havre », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, 1982 , p. 338.

2Didier Poton, « Les Toupinambous de Monsieur de Mornay, Du Brésil à l’Atlantique » in Laurent Vidal, Essais pour une histoire des échanges culturels, p. 101-111.

3 Mémoires et correspondance de Duplessis Mornay, lettre de La Ravardière du 23 novembre 1613, p. 462.