L’Édit de Nantes -1

L’Édit de Nantes représentait l’unique chance de survie d’un protestantisme breton quasiment détruit. On sait quelles étaient les lacunes, les dangereuses imprécisions de cet édit que la plupart, à l’époque, pensaient devoir être aussi éphémère que ceux qui l’avaient précédé. Les articles étaient présentés de manière assez désordonnée, regroupés en trois ensembles : l’édit lui-même, les articles secrets et particuliers, les brevets, enfin, accordés aux protestants.

Le cas le plus favorable reconnu au culte huguenot, le « droit de possession », concernait les lieux où l’exercice de la religion réformée avait été pratiqué publiquement en 1596 et 1597. La Bretagne protestante était défavorisée par le choix de ces dates, car elle était alors sous la coupe de Mercoeur. Seul Vitré pouvait se prévaloir sans contestation possible de ce droit. Les communautés de Blain et Vieillevigne y prétendirent aussi, mais cela apparaissait plus discutable, car ces places furent occupées par les ligueurs.

Les hobereaux locaux n’avaient droit qu’à un culte privé, rassemblant un maximum de trente personnes, ce qui représentait effectivement la totalité de la maison et des proches du seigneur local, qui ne pouvait guère accueillir ses voisins au prêche. Par contre, les hauts justiciers pouvaient établir des Églises de fief dont l’assistance n’était pas limitée, mais ce droit s’éteignait en cas de conversion au catholicisme ou de cession du domaine à un catholique.

Les articles secrets et particuliers concernaient toutes les exemptions à l’édit, selon les accords qui avaient été passés lors de la réduction des Ligueurs. Dans ce domaine encore la Bretagne était spécialement défavorisée : Les évêchés les plus à l’ouest, ceux de Cornouaille et du Léon étaient privés de lieu de culte. L’article secret XIX le spécifiait expressément: « En conséquence de l’édit de réduction de QuimperCorentin, ne sera fait aucun exercice de ladite religion en tout l’évêché de Cornouaille« . L’exclusion du Léon du champ d’application de l’édit avait été préparé par l’acte de soumission de la noblesse de cette baillie le 9 août 1594 : « déclarant n’avoir oncques eu intention de se désunir de l’Estat et Couronne de France, mais seulement de ne tomber sous la domination de l’hérésie« 1. Mais aucun article ne fait allusion à ce diocèse, soit que les catholiques aient cru impossible d’y voir rassembler des religionnaires, soit que le Léon entier soit compris dans l’interdiction du culte imposé à Morlaix. S’y ajoutaient les villes de Saint-Malo et Nantes, dotées d’un large périmètre d’exclusion, à la manière de Paris2. Les protestants bretons qui depuis plusieurs années craignaient que le roi ne fasse la part belle aux partisans de Mercoeur avaient de bonnes raisons d’être amers. Les quelques accommodements qui avaient été consentis, sans doute sous l’influence de Duplessis-Mornay, le ministre resté protestant, étaient de peu d’utilité, comme le droit d’exercice à Paimpol : Sera loisible à ceux de ladite religion, de faire l’exercice public d’icelle à Pimpoul… et seront lesdits lieux de Pimpoul… ordonnez pour lieux de bailliage (article secret V). Était-ce parce que ce port avait vu séjourner quelque temps le corps expéditionnaire du général Norris qu’il avait été choisi ? Un officier huguenot, M. de Teny, sans doute britannique, s’y était établi à la fin des années 1590. Duplessis-Mornay fondait quelque espoir sur lui et avait écrit au pasteur Merlin : Il faut exhorter M. de Tenie à faire profession de la Relligion et en establir l’exercice à Paimpoul. Par y estant, nous avons promesse qu’il y demeurera pour le bailliage de Quimper3. Selon cette stratégie, le culte protestant de Paimpol aurait été le plus occidental du royaume, trégorrois plutôt que cornouaillais, car Duplessis-Mornay avait une idée assez approximative de la géographie bretonne. Il est possible, cependant que l’exception paimpolaise ait concerné les huguenots qui se réunissaient autour des deux places qui avaient combattu aux côtés du roi, La Roche-Jagu et surtout Tonquédec.

Une autre restriction frappait les calvinistes de la province : ils n’avaient parfois droit qu’à un seul lieu de culte par sénéchaussée et non deux. Cette limitation apparaît plus formelle que réelle, car de toute façon, ceux de la R.P.R, comme on appelait désormais officiellement la Religion Prétendue Réformée, n’étaient pas assez nombreux pour assurer une telle densité de lieux de culte et de pasteurs en Bretagne4.

(A suivre)

Jean-Yves Carluer

1 Dom Morice, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, Paris, 1742-1746, T. III, col. 1598-1600

2 Article secret XVIII : « Ne se fera aucun exercice de ladite religion ès villes, faux-bourgs, et château de Morlais, suivant l’édit fait sur la réduction de ladite ville, et sera l’édit de 77 observé au ressort d’icelle, même pour les fiefs, selon l’édit de Nantes« . Article secret XXXI : « Ne pourra semblablement être fait ledit exercice en la ville et fauxbourgs de Nantes, et ne sera accordé aucun lieu de bailliage pour ledit exercice à trois lieuës à la ronde de ladite ville : pourra toutefois être fait ès maisons de fief, suivant iceluy édit de Nantes« . La rédaction de l’article était ambiguë car elle laissait ouverte la possibilité d’un exercice au Bois-La Muce, aux portes mêmes de la ville, si celui-ci était considéré comme fief des La Muce-Ponthus. Ce fut pendant longtemps un sujet de conflit entre l’évêché et Sarah du Boays.

3 Lettre du 12 Novembre 1597, Mémoires de Mornay, VII, 395.

4 On aurait pu imaginer toutefois deux lieux d’exercice en quelques endroits (autour de Sion, de Vitré et de Blain, par exemple).