La Vieuville : une Église méconnue

Le manoir de la Vieuville (Le Chatellier 35133)

      L’Église huguenote du Châtellier, non loin de Fougères, est une des plus méconnues de France. Sa création et son expansion un peu tardives expliquent sans doute cette discrétion. Mais plusieurs documents attestent bien de la réalité d’une paroisse protestante autour du manoir de La Vieuville au XVIIe siècle.

L'aile conservée de l'ancien château de La Vieuville

L’aile conservée de l’ancien château de La Vieuville

   Il ne subsiste aujourd’hui qu’une moitié de cet édifice, appelé le « manoir ancien », ou « vieux château », daté du XVe siècle. Il a servi de réservoir à matériaux pour la construction du « château neuf » voisin édifié au début de la IIIe République. Mais ce qu’il en reste témoigne de l’aisance d’une famille de hobereaux calvinistes, les seigneurs de La Vieuville.

     On ne sait exactement qui introduisit la Réforme dans cette demeure. En 1565, le maître des lieux était Briand de la Vieuville. Mais rien ne nous prouve qu’il fit acte de protestantisme. Ce qui est sûr, par contre, c’est que son fils César se maria en 1602 avec Judith, la dernière fille d’un célèbre protestant breton du Comté de Nantes, Bonaventure Chauvin de la Muce, qui avait été gouverneur de Vitré.

     Judith de la Muce, si elle n’a peut-être pas introduit la première le Calvinisme au château de La Vieuville, a oeuvré pour que la demeure puisse accueillir un culte régulier pour sa famille et quelques voisins protestants du pays de Fougères. La seigneurie n’était pas à l’origine le siège d’une haute justice, et il lui fallut batailler pour imposer la présence d’un temple et d’un lieu d’inhumation protestants. La paroisse du Châtellier se trouvait assez isolée, à plusieurs lieues des temples les plus proches, celui de Pontorson-Cormeray, en Normandie, ou celui de Vitré, en Bretagne.

     Le manoir était visité de temps à autres par un pasteur des environs, mais Judith de la Muce et son époux ne voulaient pas se contenter d’un simple prêche occasionnel. En 1617, César de La Vieuville demanda lors d’un synode national que les pasteurs de Vitré puissent visiter sa maison le plus souvent possible. Il fut décidé qu’un des ministres du culte y passerait tous les mois, et qu’il assurerait la prédication une fois sur deux[1]. Ce compromis ne semble pas avoir suffi aux protestants du Châtellier, qui demandaient plus et semblent s’être unis sur ce sujet avec leurs coreligionnaires de Terchant, autre Église de Fief qui aspirait également à une certaine autonomie par rapport à Vitré. Les actes du synode national de Charenton en 1645 signalent cette revendication qui posa quelques difficultés locales[2].

     En fait, le temps travaillait pour le culte protestant au château de La Vieuville. La fortune de la maison s’accrut, en particulier par le mariage du petit-fils de César et Judith, Jean de la Vieuville, avec Élisabeth de Montgommery, héritière des Montbourcher et des seigneurs de Ducey. De plus, le droit d’exercice protestant de Vitré se trouva temporairement remis en question en quelques occasions à la suite de l’abjuration d’un des barons. Les nombreux Réformés de la ville furent alors trop heureux de pouvoir rattacher leur culte aux exercices seigneuriaux subsistant dans les environs, à savoir justement Terchant ou La Vieuville.

     C’est ainsi qu’en 1685, quand se profile la Révocation de l’Édit de Nantes, un pasteur est affecté au château de La Vieuville. Il s’appelle Daniel Bourceau de Chenevert. Mais il est bientôt, hélas, expulsé du royaume comme ses collègues.

     Est-ce la fin pour l’Église réformée de La Vieuville ? Il ne le semble pas. Une curieuse procédure judiciaire intentée plusieurs années plus tard contre d’Élisabeth de Montgommery signale des réunions clandestines et même la présence d’un prédicateur caché dans le parc. Ce serait la seule mention, avec l’Oseraie, non loin de Pontorson, sur la rive bretonne du Couaisnon, d’un possible culte « au désert » dans la province. Nous en reparlerons.

     Les plus grandes Églises ne sont pas forcément les plus résistantes…

 Jean-Yves Carluer  

[1] Jean Aymon, Tous les synodes nationaux des Églises réformées…, tome 2, p. 121.

[2] Idem, p. 671.

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