Les Justes de Trémel -4

La mission baptiste, lieu de refuge…

(suite de « La rencontre »)

    Nous disposons désormais, pour retracer le séjour de la famille Levy à Trémel, de quelques témoignages écrits : celui de Jacques Levy, bien sûr, mais aussi celui de Rachel Le Quéré. Il convient d’y ajouter quelques anecdotes transmises par les mémoires familiales, mais moins précises, car de seconde main.

Tonton Tom

Guillaume Louis Le Quéré (Tonton Tom) sur un marché breton dans les années 1950. Toujours colporteur !

    « Quand nous sommes arrivés, écrit Jacques Levy, Monsieur Le Quéré[1] nous a accueillis avec beaucoup de gentillesse. Nous avions peur. Ma mère pleurait beaucoup, mais Monsieur Le Quéré a eu de douces paroles pour nous rassurer. Il nous a conduits dans une dépendance du temple. C’est là qu’il nous a cachés jusqu’à la Libération. Le grenier nous servait de chambre. Monsieur Le Quéré avait installé des paillasses par terre pour nous[2]. Il n’y avait pas de lumière mais il nous a donné des lampes à pétrole et du bois pour la cheminée. Mon père et Monsieur Le Quéré ont convenu d’une histoire qui nous servirait de couverture aux yeux des autres résidents de la Mission. Brest avait été bombardé et de nombreux habitants avaient trouvé refuge dans les campagnes. Il a donc été décidé que nous serions une famille de Brest dont la maison avait été détruite dans les bombardements[3]« .

    Cette « couverture » était d’abord destinée aux voisins et aux visiteurs de la mission protestante, car la direction de l’œuvre était, bien sûr, partie prenante de l’accueil de la famille Levy, désormais connue, comme on l’a dit, sous le nom de Loyer.

    Il restait à régler divers problèmes matériel, à commencer par celui de la nourriture. La modeste ressource qui permettait d’approvisionner la mission baptiste était la petite exploitation agricole locale qui avait été offerte au pasteur Le Coat un demi-siècle auparavant. C’est déjà elle qui permettait de nourrir les petits pensionnaires de l’orphelinat protestant, ainsi que le personnel de l’œuvre, privé de tout soutien britannique depuis déjà trois années. C’est dire si la situation alimentaire était déjà tendue.

    « La mission évangélique était pauvre, poursuit Jacques Levy, il n’y avait pas beaucoup d’argent, mais Monsieur Le Quéré n’a pas hésité à partager le peu qu’il avait avec nous. Pour aider au quotidien, mon père s’occupait des vaches, ma mère était à la cuisine, et moi, je suis devenu moniteur pour les enfants de l’orphelinat. On a passé tout l’hiver comme ça. Les conditions étaient difficiles« .

Anna et Emilie Le Quéré

Anna (à gauche) et Émilie Le Quéré, entourant une amie anglaise dans les années 1930.

    L’implication de la famille Levy dans les activités de l’œuvre explique en partie le lien très fort qui s’est alors tissé entre les réfugiés et les deux sœurs Émilie et Anna Le Quéré, respectivement responsables de l’orphelinat et de l’intendance. L’inscription laissée sur le livre d’or rend hommage à « Tante Lili » et « Tante Anna » : « Elles nous ont hébergés avec tous les soins comme leurs vrais enfants« .

    Le nombre de réfugiés doubla à la fin du mois de mai 1944. Nous avons vu dans un article précédent que Mazalto, la fille aînée de Robert et Berthe Levy, avait réussi à s’enfuir lors de la descente de la police allemande à Morlaix. Elle avait rejoint à Paris son oncle Maurice et sa tante Lucie qui purent la cacher pendant plusieurs mois. Mais ils comprirent bientôt, en ces  semaines qui précédaient le débarquement, que leur situation était intenable dans la capitale. Ils avaient été mis au courant, on ne sait comment, de l’accueil fait à leurs proches à Trémel. Ils décidèrent donc de se réfugier à leur tour dans la mission baptiste : « Il y avait beaucoup de rafles à Paris et tous les trois avaient pris peur. Je ne sais pas comment ils ont su où nous nous trouvions, mais ils nous ont rejoints. D’abord ma sœur que je suis allé chercher à bicyclette à la gare, puis mon oncle et ma tante. Pendant plusieurs semaines, Monsieur Le Quéré nous a hébergés tous les six jusqu’à la fin de la guerre[4]« .

    Cela faisait décidément beaucoup de bouches à nourrir ce qui supposait des privations. C’était la période de la soudure avant la moisson.

    Cet été 1944 est aussi le temps de tous les dangers, d’autant que la commune de Trémel abritait des groupes très actifs de maquisards. Des opérations militaires s’y déroulent, avec leur cortège de répressions et de représailles. La vie des Levy et de leurs hôtes tient alors à un fil. C’est ce que nous aborderons dans un dernier article.

Jean-Yves Carluer

(A suivre)

[1] Guillaume Louis Le Quéré, dit « Tonton Tom », évangéliste à la mission baptiste de Trémel.

[2] Le bâtiment en question a disparu aujourd’hui, en même temps que le temple. Il se situait sur la façade arrière de l’édifice.

[3] Dossier pour l’obtention de la médaille des Justes, témoignage de Jacques Levy, Paris, 24 mars 2015.

[4] Témoignage de Jacques Levy, suite. Il faut comprendre « jusqu’à la libération et les jours suivants ».