Les Bretons et la Saint-Barthélemy -4

Temps d’effroi en Bretagne

    Nos Huguenots bretons sont finalement passés au travers des massacres parisiens de la Saint-Barthélemy, à la notable exception du baron de Pont-L’Abbé. S’ils rentrent peu à peu dans la province, par des chemins différents, ils y sont précédés par les rumeurs puis la sidération qui accompagne l’événement. Un enjeu fondamental reste quelques jours en suspens. Le massacre va-t-il se limiter à la capitale ou s’étendre au reste du Royaume ? Durant cette période critique qui soulève encore beaucoup d’interrogations aujourd’hui, tout peut basculer. On le voit bien dans les provinces du Centre et de la Loire, où la chasse aux huguenots atteint Orléans, Gien, Saumur et Angers. Une des victimes de ces journées fut l’ancien pasteur de Vitré, Mondonay de Goulaine.

    Nos Bretons se trouvaient d’autant moins en sécurité qu’il se disait que le Duc de Bourbon-Montpensier, gouverneur de la province, avait été un des plus acharnés à tremper son épée dans le sang des huguenots parisiens et qu’il brûlait d’étendre l’hécatombe à sa province. Comme il ne résidait pas dans son gouvernement, il ne put que transmettre ses ordres par écrit aux villes de Bretagne, comme en témoigne la lettre du 25 ou 26 août qui parvint aux échevins de Nantes quelques jours plus tard : Après avoir décrit le massacre parisien comme une juste sanction d’une odieuse conspiration contre le roi, il concluait : « Par là lintention de sa majesté est assez cognu pour le traitement qui se doit faire aux huguenots des autres villes, et aussi le moyen par lequel nous pouvons espérer de voir par cy après quelque assuré repos en notre pauvre Eglise catholique.[1]« 

    C’était un appel direct au meurtre des protestants bretons. L’ordre du duc ne fut pas obéi par le maire Guillaume Harouys ni par son adjoint Michel Le Lou. Selon le pasteur Vaurigaud, ils cachèrent 15 jours la lettre à leurs administrés, et quand elle fut lue le 8 septembre à l’assemblée de ville, les juges, consuls, et échevins qui la composaient refusèrent de lui obéir. Ordre fut donné au contraire de ne se porter à aucun excès[2]. Les protestants nantais du XIXe siècle, derrière Benjamin Vaurigaud, rendirent un hommage public et appuyé à la municipalité nantaise de 1572 lors du tricentenaire de l’événement. La mémoire de cette modération était déjà connue dans la ville : une inscription lapidaire avait été déjà gravée au XVIIe siècle, sans doute par les huguenots de la ville :

 « A la mémoire de Me Guillaume Harouys, sieur de la Semeraye, maire ; michel Le Lou, sieur du Breil, soubs maire ; Pierre Billy, sieur de La Grée ; Jean Paul Mahé ; Nicolas Fiot, sieur de la Rivière ; Jacques Davy ; Gilles Delannay ; Jan Hovic ; Guillaume Le Bret ; Jan Quantin ; Guillaume Bretaigne ; qui ont refusé d’obéir à la lettre du duc de Bourbon Montpensier, dattée de Paris, le XXVI Aoust MDLXXII, et reçue  le VIII Septembre, portant invitation de massacrer les protestants».

Se  souvenir aujourd’hui…

école Harouys Nantes

La façade de l’école Harouys, à Nantes, avec la plaque qui y est apposée.

    Cette inscription a aujourd’hui disparu et seule la copie de ce texte nous est parvenue[3]. Mais le symbole de la tolérance nantaise reste vivant aujourd’hui. Michel Rocard, alors Premier Ministre, l’évoqua officiellement le 19 octobre 1989 quand il inaugura les bâtiments rénovés de l’école Guillaume Harouys, à Nantes, en présence de Jean-Marc Eyrault qui venait d’être élu maire de la ville[4]. Une nouvelle plaque apposée sur l’édifice rend de nouveau hommage aux édiles du XVIe siècle.

    Mais les échevins nantais étaient-ils si exceptionnels ? Une lettre semblable à celle reçue à Nantes et datée du 29 août parvint également à Saint-Malo, et là aussi, la municipalité se refusa au meurtre[5]. Il est probable que le duc de Bourbon-Montpensier écrivit à toutes les grandes villes de Bretagne, avec aussi peu de résultat. Car, de Rennes à Quimper, aucun pogrom ne vint menacer les huguenots bretons. Les autres corps de ville de la province partageaient la même modération que les échevins nantais, et aucun massacre ne fut signalé en Bretagne, si l’on excepte quelques rares pillages de manoirs. « La bonté du Seigneur préserva la Bretagne des massacres mêmes » écrivait Crevain un siècle plus tard, tout en essayant d’examiner de plus près quels en avaient été les instruments : l’humanité des magistrats, le petit nombre des Réformés qui ne constituaient pas sur place une menace politique, les ordres contradictoires reçus…

    Cette dernière hypothèse est la bonne, nous le savons aujourd’hui. Car, au moment même où le gouverneur, le duc de Montpensier, poussait au massacre, la reine-mère, Catherine de Médicis, écrivait au sieur de Bouillé d’agir avec modération. La missive, datée du soir du 24 août, concluait que cette « lamentable édition » ne devait pas déboucher sur une effusion de sang en Bretagne. C’est cette option qui prévalut en Bretagne : le sieur de Bouillé, pourtant seulement lieutenant-général, était le véritable homme fort de la province. En poste depuis des années et résidant sur place, il n’eut aucune difficulté à faire appliquer les consignes de Catherine de Médicis. Il fit diffuser le contenu de la lettre de la reine-mère qui fut connue des huguenots bretons, comme l’atteste le dial de Saffré en date du 30 septembre 1572.

    Et si c’était Bouillé, le véritable héros de la modération bretonne ? On a du mal à imaginer le lieutenant général, personnalité scrupuleuse, volonté tatillonne et pour tout dire vaguement paranoïaque quand il s’agissait de maintenir l’ordre public, en précurseur des libertés. Mais, à mon avis, son rôle est essentiel en 1572.

    Même si la plaque honorant Guillaume Harouys, sur le mur de l’école Harouys, dans la rue Harouys, est amplement méritée, on pourrait en imaginer une autre en Bretagne, évoquant les mérites du sieur de Bouillé en ces circonstances. Elle aurait, par exemple, sa place à Nantes, rue de Bouillé, justement, là où se trouvent les Archives  départementales de la Loire-Atlantique…

Jean-Yves Carluer

[1] La lettre est conservée aux Archives municipales de Nantes, AA 24.

[2] Archives municipales de Nantes, procès verbal de la séance du 8 septembre, reproduit aussi dans Ch. Laronze, Essai sur le régime municipal en Bretagne pendant les guerres de religion, Paris, 1890. Il faut consulter sur ce sujet l’article de S. de La Nicollière-Teijeiro : « Un point de l’histoire de Nantes. Pas de massacre à la Saint-Barthélemy ? A qui en revient l’honneur ? » dans la Revue de Bretagne et de Vendée, 1897.

[3] Texte recueilli par P. N. Fournier, Histoire de Nantes, Inscriptions et monuments, t. 1, 256

[4] Le texte du discours de Michel Rocard est en ligne : http://discours.vie-publique.fr/notices/903054400.html.

[5]  Voir à ce sujet le Bulletin de la Société archéologique de Saint-Malo, T. XIII, p. 4.